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L'histoire, le patrimoine et le public: la diffusion de l'histoire grâce aux inventaires numériques disponibles sur le Web

Keywords

history, heritage, computing, internet / histoire, patrimoine, informatique, web, internet

How to Cite

Robichaud, L. (2009). L'histoire, le patrimoine et le public: la diffusion de l'histoire grâce aux inventaires numériques disponibles sur le Web. Digital Studies/le Champ Numérique, 1(2). DOI: http://doi.org/10.16995/dscn.111

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Introduction

Explorez un quartier, une ville, ou une région. Votre processus de découverte passera assurément par le patrimoine bâti. Les immeubles, qu'ils soient humbles ou grandioses, deviennent des vecteurs identitaires où l'on retrouve le souvenir de personnages historiques, d'événements marquants et de pratiques architecturales. La protection de ce patrimoine est basée non seulement sur l'architecture et l'esthétique, mais aussi sur le rapport à l'histoire (MCCCF 46; Lieux patrimoniaux du Canada 13). De la municipalité à l'UNESCO, chaque niveau d'intervention dresse la liste des éléments à préserver et prend des mesures de protection et de mise en valeur. Entre le public qui l'observe ou l'étudie et les spécialistes qui veillent à sa préservation, l'inventaire numérique est devenu un outil essentiel pour reconnaître et faire connaître le patrimoine. Autrefois sous forme de fiches cartonnées et de listes papier, l'inventaire numérisé et disponible sur le Web crée un nouvel environnement pour la diffusion d'information qui dépasse le domaine architectural que l'on associe souvent au patrimoine bâti.

Au cours de cet article, j'analyserai le rapport entre le patrimoine, l'histoire, et le public. Les analyses publiées des inventaires étant généralement liées à un projet donné, je propose une vue d’ensemble de la diffusion sur le Web depuis une décennie. Je m'intéresserai plus spécifiquement aux bonnes pratiques actuelles, au rôle de l'historien, et aux améliorations qui pourront soutenir l'utilisation continue de ces outils. Après un rappel de la nature et des objectifs des inventaires, j'analyserai l'utilisation qu'on en fait et les caractéristiques qui font la force des projets qui ont connu du succès. Il en découle que les historiens peuvent jouer un rôle important en terme de recherche fondamentale et appliquée, de contextualisation et vulgarisation des contenus. Enfin, j'identifierai des projets qui tracent la voie pour l'évolution des inventaires afin d'éviter qu'ils ne se fossilisent.

Cette réflexion est le résultat de plus d'une décennie de collaboration au développement d'inventaires patrimoniaux. Historien initié au numérique à la fin des années 1980, j'avais travaillédepuis le début des années 1990 à la conception de bases de données, à la programmation, et au développement d'interfaces. Le premier projet d'envergure auquel j'ai collaboré de 1991 à 1995 n'était pas un inventaire au sens propre mais une reconstitution du parcellaire, du bâti, et de la population de Montréal de 1642 à 1805 (GRM). Depuis 1997, après avoir collaboré à la conception ou à la mise en ligne de quelques inventaires patrimoniaux, dont celui du Vieux-Montréal, celui de la Ville de Montréal et l'inventaire des lieux de culte du Québec, j'ai conservé un intérêt pour le domaine en enseignant l'informatique appliquée à l'histoire et en encadrement des étudiants au deuxième cycle (Blais; Rocheleau). Quoique les inventaires patrimoniaux comprennent aussi le patrimoine archéologique, mobilier, artistique et immatériel, cet article sera centré sur le patrimoine bâti et sur les lieux de mémoire, ces derniers étant, pour le moment, les plus connus et les plus accessibles pour le public.


1.0 La nature et les objectifs des inventaires

L'inventaire est une version plus étendue du registre des biens culturels protégés par législation ou par convention internationale. Ces registres répondent à des critères stricts, définis par la réglementation, concernant les éléments inscrits et la nature du contenu. De manière générale, le registre est un outil administratif qui n'est pas conçu pour rejoindre le grand public (MCCCF 25-26). L'étude et la mise en valeur du patrimoine requièrent donc des outils plus flexibles pouvant répondre aux besoins de divers usagers.

Une première approche consiste à diffuser les données du registre sous une autre forme en y ajoutant des informations à des fins de vulgarisation ou de pédagogie. À titre d'exemple, la collection des Carnets du patrimoine permet au public de découvrir certains biens protégés au Québec. En Ontario, la version actuelle de la Base de données sur les biens patrimoniaux de l'Ontario reprend essentiellement les informations contenues au registre, mais un nouveau système en préparation offrira des informations plus détaillées. Aux États-Unis, le National Register of Historic Places a servi de base à la création de l'outil pédagogique « Teaching with Historical Places », d'abord en version imprimée puis en version Web.

D'autres intervenants du milieu ont choisi de déborder du registre des biens protégés pour inventorier d'autres immeubles ne disposant pas nécessairement d'une protection spécifique mais qui ont néanmoins un intérêt. Certains inventaires visent l'exhaustivité spatiale ou thématique. À titre d'exemple, le Patrimoine du Vieux-Montréal en détail relève chaque structure fermée et permanente de l'arrondissement historique de Montréal alors que l'Inventaire des lieux de culte du Québec cible toutes les églises, synagogues, temples, mosquées, et autres lieux de culte construits avant 1975. Débordant du patrimoine bâti, l'Inventaire des lieux de mémoire de la Nouvelle-France propose de souligner tous les lieux d'importance pour l'histoire de la Nouvelle-France, tant en Amérique qu'en France.

L'extension des informations contenues dans un registre ne vise pas toujours l'exhaustivité. Au Québec, la publication d'ouvrages tels que Les vieilles églises de la province de Québec: 1647-1800 et Vieux manoirs, Vieilles maisons, visait dès 1925 à faire connaître le patrimoine bâti alors que seuls quelques immeubles avaient été classés monuments historiques (Roy 1925 et 1927). De nos jours, divers répertoires mettent en évidence des immeubles d'intérêt sans viser l'exhaustivité, tels que le Grand répertoire du patrimoine bâti de Montréal et le Répertoire du patrimoine culturel du Québec. Le concept de répertoire permet alors d'identifier un éventail plus large de biens sans pour autant sous-entendre que les autres immeubles n'ont aucune valeur patrimoniale.

Registres, inventaires ou répertoires, ces outils, sous leur forme prénumérique, formaient une liste ou une collection de fiches ou de dossiers, une structure que l'on a pu facilement convertir sous en banque de données en systématisant la structure des informations. En analysant divers inventaires depuis une décennie, j'ai pu constater que les informations les plus courantes sont la date de construction, le propriétaire d'origine, l'architecte, les principales caractéristiques architecturales, et l'emplacement géographique. Mais contrairement aux normes établies pour la documentation (DCMI ; Docbook ) et les objets en musée (RCIP ), les descriptions du patrimoine bâti varient d'un projet à l'autre en fonction des objectifs visés. Des initiatives telles que le Répertoire du patrimoine culturel québécois et le Répertoire canadien des lieux patrimoniaux contribuent toutefois à standardiser certaines composantes en vue de faciliter les échanges de données entre les municipalités, les provinces, et le gouvernement fédéral.

Les données sont généralement structurées en utilisant une base de données relationnelle ou le XML. L'analyse des avantages relatifs de l'un et de l'autre pourrait faire l'objet d'un article en soi. Je signalerai simplement que le XML se prête très bien aux structures hiérarchiques et facilite l'échange de données, tel que le RCLP, alors que les structures relationnelles sont très utiles pour les systèmes où l'on désire associer plusieurs types d'éléments très différents, comme c'est le cas pour le Vieux-Montréal.

La numérisation d'un inventaire existant ou la création d'un inventaire numérisé disponible sur le Web vise d'abord l'accessibilité. Il ne s'agit non seulement d'ouvrir l'accès au grand public, mais aussi de faciliter l'échange d'information entre les différents intervenants dans le processus de gestion du patrimoine bâti: service des permis, architectes, promoteurs, et gestionnaires rattachés à différents paliers gouvernementaux. L'utilisation du Web comme plate-forme de diffusion est aussi perçue comme étant synonyme de mises à jour plus faciles, un postulat qui requiert des ressources pour se concrétiser. À travers ces avantages, l'inventaire numérisé vise principalement à identifier, à mieux connaître et à mettre en valeur le patrimoine. Il n'est certainement pas nécessaire pour tout inventaire d'être converti en base de données pour le Web. Dans le cas de Rouyn-Noranda, l'étude est disponible en ligne en format PDF et une série de chroniques parues dans le journal Le Citoyen sont reproduites sur le site Web de la ville dans une section intitulée Patrimoine bâti.

La mise en ligne des inventaires a des conséquences évidentes. Dans le cas du Vieux-Montréal, les quelques consultations de l'ancien inventaire papier se sont multipliées pour devenir des milliers de visiteurs uniques par mois et ont renouvelé l'intérêt pour l'information patrimoniale (Lauzon ). Le grand succès des inventaires du Vieux-Montréal et de plusieurs outils du même genre dépasse souvent les objectifs initiaux en matière d'accessibilité. Les inventaires rejoignent plus facilement les clientèles cibles mais on découvre aussi de nouvelles utilisations et de nouveaux utilisateurs.


2.0 Les utilisateurs et les utilisations

La conception d'un bon inventaire doit d'abord répondre aux besoins de ceux et de celles qui en feront usage. Aux fins de cet article, j'ai classé les types d'utilisation en cinq grands groupes afin de mettre en lumière la flexibilité de l'outil et sa capacité à s'adapter à divers besoins.


2.1 Gestion, planification, et aménagement

Les intervenants dans ces domaines sont surtout des fonctionnaires, des urbanistes, des architectes, et d'autres personnes qui ont à prendre des décisions concernant le patrimoine bâti. Leurs intérêts les amènent à s'intéresser à l'emplacement de l'immeuble, à son âge, à ses caractéristiques architecturales, et à son intérêt patrimonial, les composantes les plus classiques d'un inventaire. En plus d'informations concernant un édifice particulier et ses voisins, ces usagers ont aussi besoin de données concernant l'ensemble des immeubles inventoriés: tranches d'âge, matériau de construction, caractéristiques architecturales, ou type de protection. Ce type d'utilisation implique à la fois des recherches individuelles pointues et une couverture cohérente de l'ensemble. Dans certains cas, il est nécessaire d'associer l'inventaire à un carnet de santé visant à faire le suivi de l'état des immeubles inventoriés. Tous les inventaires analysés répondent à ces besoins.


2.2 La recherche et l'enseignement

Les chercheurs, les enseignants, et les étudiants utilisent les inventaires pour identifier les immeubles pertinents pour une recherche ou pour une activité pédagogique. Aux États-Unis, le National Register of Historic Places est le matériau de base pour l'enseignement de l'histoire à partir des sites historiques. Simple, efficace et accessible, Teaching with Historic Places est un excellent exemple de la collaboration qui peut exister entre le monde de l'architecture, du patrimoine, de l'histoire, et de l'enseignement. En plus de thématiques reliées au politique, les activités pédagogiques rejoignent les communautés culturelles, l'histoire des femmes, le tourisme, la vie communautaire, et les technologies. Dans le cas du Vieux-Montréal, l'inventaire a servi de base pour la recherche sur les magasins-entrepôts, recherche qui a permis par la suite d'ajouter des données à l'inventaire au sujet de ces édifices multifonctionnels qui caractérisent l'architecture du quartier pendant la seconde moitié du XIXe siècle (Lauzon47-48). Ce fructueux échange nous permet de mieux comprendre non seulement cette forme architecturale, mais aussi son rapport aux pratiques économiques, commerciales, et de consommation qui se développent à cette époque (Burgess; Burgess et Lauzon). Une plus grande collaboration entre les inventaires et les secteurs de la recherche et de l'enseignement présente des avantages indéniables mais nécessite une ouverture de part et d'autre qui reste souvent à développer.


2.3 Les résidents et les entreprises

Habiter ou occuper un immeuble crée un lien très direct avec l'environnement bâti. En faisant mieux connaître les immeubles et les gens qui y ont habité, l'inventaire peut développer le rapport identitaire, la fierté, et l'intérêt à préserver le patrimoine bâti. L'intérêt patrimonial d'un immeuble, plutôt qu'être une charge ou un obstacle au « progrès », devient une valeur ajoutée à conserver et à mettre en valeur. Pour ce groupe d'utilisateurs, l'intérêt réside dans « leur » bâtiment et la qualité perçue de l'ensemble de l'inventaire résidera dans la qualité de l'information pour ce seul bâtiment. Les chercheurs pourront gagner à terme à profiter des documents dont peuvent disposer les propriétaires et les locataires. Ils doivent aussi parfois corriger de fausses impressions qui ont pu se glisser dans la transmission de l'histoire du bâtiment. Par exemple, les propriétaires de la Maison du Calvet datent la construction de l'immeuble en 1725 (Hostellerie Pierre du Calvet), alors que les études fixent plutôt cette date en 1770.


2.4 Le touriste culturel et les guides

L'inventaire traditionnel n'offre pas toujours le format le plus accessible pour la vulgarisation. Même dans sa forme la plus brute, il peut néanmoins offrir des informations de base que les guides et les concepteurs de visites peuvent remanier en fonction des besoins du public. Il faut alors que l'inventaire devienne la référence de base pour ces usagers et offre les données requises très facilement. En plus des dates de construction, des architectes et des styles architecturaux, ces usagers s'intéressent à l'histoire, aux personnages, aux événements, au contexte de construction, aux transformations structurelles et fonctionnelles. Le rôle de l'historien est alors de fournir des données additionnelles et des pistes de recherche pour obtenir les éléments de détails qui peuvent venir égayer un circuit de visite. Le site officiel du Vieux-Montréal offre ainsi un manuel à l'intention des cochers du Vieux-Montréal. L'inventaire peut aussi s'adresser directement au touriste culturel. Dans un processus de découverte d'une autre culture ou de son propre milieu, le touriste culturel souhaite en apprendre plus sur le milieu qui a créé le patrimoine bâti qu'il observe. À nouveau, l'historien peut jouer un rôle pour créer un récit à partir du rapport entre le patrimoine et l'histoire, un sujet sur lequel je reviendrai.


2.5 Les imprévus

Une fois lancé, l'inventaire prend une vie qui lui est propre. Les usagers se l'approprient et l'utilisent à des fins que n'avaient pas anticipées les concepteurs du système. À titre d'exemple, l'Inventaire des lieux de culte du Québec, conçu pour mieux connaître et préserver le patrimoine religieux, est utilisé par des couples qui cherchent une église pour y célébrer leur mariage. Les coordonnées des fabriques ou autres responsables des lieux ont donc été intégrées aux fiches pour répondre à cet usage imprévu.

Ce bref survol nous permet de constater que l'inventaire patrimonial rejoint des publics très variés. Peu d'instruments traditionnels de diffusion de l'histoire ont un impact aussi étendu. Le défi est alors de développer des stratégies pour répondre à des besoins très divers.


3.0 Une diversité facilitée par le Web

En élargissant les inventaires au-delà de l'architecture et en le diffusant sur le Web, il y a de toute évidence le danger de créer un « fourre-tout touristico-éducatif », expression utilisée par une évaluatrice confrontée à l'ampleur qu'ont prise les inventaires du Vieux-Montréal (Therrien). Pour mieux orienter les utilisateurs, la structure de l'information devient alors un enjeu majeur qui se joue sur trois niveaux : la recherche historique, les modes d'accès par les usagers, et l'affichage de l'information.

Dans le cas de la recherche historique, il existe deux approches qui permettent aux gestionnaires de projet de s'adapter au cadre financier et autres contraintes de développement. L'approche traditionnelle, et la plus classique, consiste à définir l'inventaire de manière globale et d'obtenir les fonds requis pour en réaliser toutes les phases. Les chercheurs peuvent alors préparer des études complètes pour chaque immeuble, l'agrégation desquelles forme l'inventaire global. Au terme du projet, un inventaire complet est livré. Cette approche convient aux petites municipalités ou aux inventaires dont le financement est assuré jusqu'à la fin du processus, comme ce fut le cas pour l'Inventaire des lieux de culte du Québec. Un danger couramment associé à cette approche est que le processus de recherche s'arrête au terme de la création de l'inventaire puisque les parties prenantes pourraient alors juger que tout a été fait. Une autre approche, plus graduelle, a été utilisée pour réaliser les inventaires patrimoniaux du Vieux-Montréal. Une stratégie par couche a été mise de l'avant pour graduellement construire l'inventaire. Ainsi, après chaque campagne de recherche une couche d'information globale (i.e. caractéristiques physiques, styles architecturaux, photographie, cartographie) ou thématique (i.e. toponymie, art public, types de pierre, magasins-entrepôts, maisons construites avant 1850, archéologie, constructions du XXe siècle, etc.) était ajoutée à l'inventaire. Cette approche a permis d'abord d'offrir rapidement un outil couvrant l'ensemble des immeubles du secteur et d'ajouter régulièrement des blocs cohérents d'information qui rejoignent aussi de nouveaux publics, le tout en nourrissant constamment l'inventaire lui-même en évitant ainsi qu'il ne se fige dans le temps. Cette démarche pose toutefois deux défis de taille. D'une part, le renouvellement du financement devient un enjeu récurrent. D'autre part, il faut réussir à maintenir une équipe de recherche stable pour assurer la cohérence de l'ensemble d'une campagne de recherche à l'autre.

Le concept de couche d'information peut aussi être utilisé au moment de la diffusion. L'inventaire sous forme de fiche offrait une approche de consultation linéaire, généralement par adresse civique. Lorsque publiée ou préparée sous forme de rapport, la présentation pouvait être thématique (par période ou par style architectural) et pouvait être associée à des index par nom de l'immeuble, par nom d'architecte ou par date de construction. Grâce au numérique, les concepteurs ont multiplié les modes d'accès en fonction des besoins des usagers.


Figure 1. Modes d’accès diversifiés aux données patrimoniales sur le Vieux-Montréal

Figure 1: Modes d’accès diversifiés aux données patrimoniales sur le Vieux-Montréal
Source : Le patrimoine du Vieux-Montréal en détail <http://vieux.montreal.qc.ca/inventaire/hall.htm>.

Les intervenants du milieu privilégient souvent une approche spatiale, à partir d'une adresse civique ou d'une carte. Dans les inventaires intégrés à la gestion de l'urbanisme, un système d'information géographique peut servir de porte d'accès aux données patrimoniales. La recherche par information historique, par caractère architectural ou par type de protection, est aussi fort utile pour divers usagers. Une version extrême, offrant la possibilité de combiner quarante-trois variables, a été développée pour le Vieux-Montréal.


Figure 2. Quelques critères de recherche pour le Vieux-Montréal

Figure 2: Quelques critères de recherche pour le Vieux-Montréal
Source : Le site officiel du Vieux-Montréal : Recherche par critères de sélection. <http://vieux.montreal.qc.ca/inventaire/fiches/rech_lon.php>.

La base de données et la saisie doivent alors être conçues pour accommoder un tel usage. Des outils plus simples doivent aussi être offerts, telle que la recherche plein texte pour l'ensemble des fiches. De plus, des fiches-vedettes et des circuits de visite (par type architectural ou par période historique) permettent une démarche plus encadrée pour les usagers qui souhaitent simplement découvrir un patrimoine qu'ils connaissent peu. Enfin, l'inventaire numérique devrait pouvoir offrir des liens entre les composantes qui ont des rapports spatiaux ou historiques, ce que la structure de plusieurs inventaires ne permet malheureusement pas. Dans le cas du Vieux-Montréal, tous les partenaires et les concepteurs étaient convaincus qu'il fallait organiser l'information pour permettre la navigation entre les fiches, non seulement d'immeubles formant un même ensemble, mais aussi entre les fiches d'immeubles, les fiches toponymiques, les fiches biographiques, etc. pour éviter de cloisonner l'information, pour faciliter l'exploration, et ainsi mettre en évidence les nombreux liens qui existent dans cet arrondissement historique.

Une fois que l'usager atteint la fiche voulue, celle-ci peut intimider le visiteur par la quantité d'information qui peut s'y retrouver. L'ordre de présentation des informations est certainement essentiel pour faciliter la lecture, mais le défilement d'une page qui s'étend sur plusieurs écrans est en soi un obstacle pour de nombreux usagers. On peut maintenant concevoir, par le biais de technologies telles qu'AJAX, d'offrir une navigation par onglet, comme le Répertoire du patrimoine culturel du Québec, sans avoir à recharger la page au complet.


Figure 3. Une fiche du Répertoire du patrimoine culturel du Québec

Figure 3: Une fiche du Répertoire du patrimoine culturel du Québec
Source : Répertoire du patrimoine culturel du Québec. <http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/RPCQ/detailBien.do?methode=consulter&bienId=92534>.

Le concept de couche ou de niveau d'information peut alors être utilisé pour offrir une lecture sommaire, thématique, ou approfondie. Une telle organisation des contenus doit toutefois maintenir l'option de présenter l'ensemble de l'information sur une seule page. Cette option est nécessaire pour certains types d'usagers et est aussi utilisée par ceux et celles qui souhaitent imprimer la fiche d'un immeuble, ce que permet aussi le Répertoire du patrimoine culturel en offrant une version PDF de la fiche complète.

Malgré la richesse et la flexibilité potentielle de l'inventaire numérique, il fait aussi face, tout comme les anciens inventaires papier, à la possibilité de fossilisation. Le principal danger provient de l'arrêt des travaux lorsque le financement vient à terme. Cette possibilité est d'autant plus grande lorsque l'inventaire patrimonial se campe dans son rôle d'outil de référence, d'encyclopédie complétée, que l'on n'alimente plus de nouvelles connaissances, alors que le patrimoine continue à évoluer.


4.0 L'avenir des inventaires

Pour assurer le développement des inventaires, il est essentiel de les placer au coeur de la démarche de connaissance et de la mise en valeur. En premier lieu, l'inventaire doit être suffisamment souple pour accueillir de nouvelles recherches sur la pierre, sur l'archéologie, sur les oeuvres d'art, etc. Dans un contexte qui s'écarte du monde des historiens, l'inventaire doit faire partie des processus courants de la gestion du bâti et du territoire pour que les administrations publiques soient conscientes de l'importance de poursuivre son développement. Ainsi, l'inventaire doit pouvoir être arrimé aux différents outils utilisés notamment pour l'attribution des permis, pour l'évaluation des nouveaux projets de développement, et pour les communications avec les citoyens. De telles considérations nous éloignent de la recherche historique mais elles font partie des enjeux qui peuvent faciliter la pérennité d'un inventaire.

Dans une perspective moins administrative, l'inventaire peut servir de base à la vulgarisation des connaissances à travers d'autres médias. Au-delà de la traditionnelle plaque commémorative, les guides de visite et les itinéraires culturels sont d'autres moyens de faire découvrir en temps réel les immeubles et les lieux cités dans un inventaire (Tribot 6). La publication de capsules dans les médias demeure un outil très efficace qui a été utilisé par la Ville de Rouyn-Noranda. La forme du livre imprimé, utilisé par Pierre-Georges Roy pour faire découvrir les monuments historiques pendant les années 1920, a été reprise et améliorée avec succès pour faire connaître les inventaires du Vieux-Montréal (Lauzon et Forget) et du Vieux-Québec (Provencher), ainsi que les lieux de mémoire de la Nouvelle-France (Saint-Hilaire et al). Ces ouvrages ont renouvelé le genre en associant patrimoine bâti, archéologie et histoire. Structurés de manière chronologique dans le cas du Vieux-Montréal et du Vieux-Québec, ou de manière thématique dans le cas de la Nouvelle-France, ces ouvrages réussissent à construire un récit à partir d'éléments disparates − traces visibles et souterraines – dans une forme appréciée du public qui en font des succès de librairie dans le domaine de l'histoire. La contribution d'historiens provenant de divers horizons (histoire académique, histoire publique, et histoire vulgarisée) à ces ouvrages souligne la pertinence et l'importance de notre présence dans ce genre de projet. Suite à ces publications, on peut espérer que, puisque l'inventaire sert de base pour créer l'imprimé, la recherche requise pour rédiger l'ouvrage servira aussi à nourrir les inventaires.

L'imprimé de qualité restera pendant encore quelques années le produit dérivé de prestige pour l'inventaire patrimonial. Sa forme même présente toutefois une image de finalité. C'est donc du côté informatique et de l'audio-visuel que l'on peut identifier de nouveaux outils pouvant rejoindre de nouveaux publics et pouvant s'adapter aux nouvelles directions que prend le tourisme culturel.

Entre la visite autoguidée avec magnétophone et la visite autoguidée avec baladodiffuseur (podcast), le pas fut très facile à franchir. Le lecteur audio de type iPod est devenu omniprésent dans le monde occidental. Divers sites Webs offrent des balados pour des circuits de visite à travers le monde, comme le site ZeVisit.


Figure 4. Une nouvelle approche de la visite

Figure 4: Une nouvelle approche de la visite
Source : ZeVisit <http://www.zevisit.com>.

Sous ma direction, Vanessa Blais a réalisé deux exemples de visites en baladodiffusion en lien avec les inventaires du Vieux-Montréal. Les organismes qui autrefois louaient les magnétophones et qui souhaitent se lancer dans les visites par baladodiffusion sont toutefois confrontés aux attentes de gratuité de la part du public. Cette voie présente donc des défis quant au montage financier requis pour la réalisation et le maintien de ce type de projet.

Les nouvelles générations d'ordinateurs en tablette, de téléphones intelligents, et d'assistants numériques (la frontière entre les deux derniers tendant à disparaître) offrent aussi de nouvelles plates-formes pour faire connaître le patrimoine bâti à partir des coordonnées géographiques de l'utilisateur. William Turkel a déjà réalisé des expériences en ce sens avec le concept de « place-based computing » (Turkel). En associant de tels projets à des inventaires patrimoniaux, les deux parties en retireraient d'une part des données de base que l'on pourrait enrichir, et d'autre part une vitrine avant-gardiste et les fruits des recherches nécessaires pour adapter les contenus aux nouveaux outils. L'inventaire étant en soi un univers très contrôlé que de telles ouvertures posent des défis qui devront être analysés dans un autre contexte.

L'association entre la cartographie Web, de type Google Maps, et les inventaires patrimoniaux est déjà en place. Les inventaires du Vieux-Montréal utilisent déjà cet outil pour situer les immeubles inventoriés et un module Google Earth est aussi disponible. L'inventaire architectural de la ville de Dijon est quant à lui conçu directement en lien avec Google Maps (Grand Dijon). On peut rapidement imaginer les possibilités d'une telle plate-forme pour les développements futurs.


Figure 5. L’inventaire patrimonial du Grand Dijon

Figure 5: L’inventaire patrimonial du Grand Dijon
Source : Grand Dijon : Inventaire patrimoine. < http://www.grand-dijon.fr/cartographie/inventaire-patrimoine-14137.jsp>.

Après quelques années de piétinement, la technologie 3D est à nouveau à l'avant-scène grâce à l'amélioration de la bande passante et de la puissance des ordinateurs personnels. La reconstitution du quartier historique de Savannah (Virtual Historic Savannah) pourrait ainsi connaître une nouvelle vie en étant associée à un inventaire patrimonial. Sans disposer des moyens utilisés pour rendre le projet « Rome Reborn » accessible à partir de Google Earth, l'utilisation des reconstitutions en trois dimensions et les données historiques et architecturales en font un puissant objet de diffusion et d'enseignement qu'étudient activement les responsables des inventaires du Vieux-Montréal.


Conclusion

Une décennie de collaboration et d'intérêt pour les inventaires patrimoniaux m'a amené à constater que les historiens en général et les historiens numériques en particulier peuvent tirer profit des inventaires pour diffuser l'histoire. Les avantages réciproques d'une collaboration plus soutenue permettront aux historiens de rejoindre de nouveaux publics tout en ajoutant des contenus aux inventaires. La collaboration est d'autant plus intéressante pour les praticiens de l'informatique appliquée à l'histoire car les inventaires offrent une plate-forme sur laquelle peuvent s'arrimer des initiatives très novatrices. Dans un cadre subventionnaire qui encourage la multidisciplinarité et les liens entre les universités et leur milieu, souhaitons que de tels partenariats puissent continuer à se développer.



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Léon Robichaud (Université de Sherbrooke)

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