Introduction
En prenant un nouveau visage avec l’arrivée du numérique, la notion de littératie a redéfini une nouvelle forme d’accès au savoir, et donc changé les perceptions et les pratiques, notamment en enseignement/apprentissage de la lecture et de l’écriture, mais aussi dans des disciplines qui recourent moins au langage écrit. Certains auteurs parlent désormais d’humanités numériques (Bénel 2014; Dacos et Mounier 2014; Lebrun 2015; Mounier 2018), en considérant le numérique non pas comme un simple outil d’accès au savoir, mais plutôt comme une reconceptualisation du domaine du savoir basé sur les potentialités de l’informatique (Bachimont 2000; Crozat et al. 2011; Healy et Dooley 2002; Bélisle 2011; Bouchardon 2011; Baroni et Gunti 2020). Dans ce contexte, les chercheurs en littératie médiatique multimodale (LMM), en collaboration avec des acteurs scolaires et culturels (enseignants, conseillers pédagogiques, bibliothécaires, etc.), travaillent depuis une dizaine d’années à l’élaboration et à la consolidation d’un référentiel de compétences en LMM qui implique un renouvellement des corpus et œuvres à l’étude (formats et supports), de leur réception et de leur création, ainsi que des activités soutenant leur exploration et leur appropriation. Afin d’examiner comment se développe la compétence numérique, l’équipe s’est appuyée sur la réalisation récente de recensions sur les compétences en écriture numérique (Lacelle et Lebrun 2016) et sur les compétences en lecture numérique et les genres numériques (Lacelle et al. 2017), ainsi que sur la réalisation d’une recherche design visant l’intégration de la LMM dans des activités de recherche documentaire et de production artistique numériques en langue, en univers social et en arts. Nous présentons ici les résultats de cette recherche avec l’objectif de démontrer comment la méthode des 4P – principes directeurs de la cocréation développée en recherche design – permet la conception et la réalisation de projets éducatifs en littératie numérique. L’analyse des dimensions à l’étude dans la recherche design – pragmatique, exploratoire, collaborative et itérative – nous permet de poser un regard critique sur les données décrites à l’aide de la méthode des 4P.
Ainsi, plusieurs concepts théoriques, empruntés aux théories littéraires, sémiotiques et de la communication, nous permettent d’imaginer une multitude d’activités de lecture et de production numériques, et de les expérimenter pour en comprendre le fonctionnement dans le but de préciser la théorie sur les compétences en littératie numérique. Définie dans le champ de la LMM, la littératie numérique vise la capacité à recourir aux ressources numériques – combinées à d’autres ressources qui peuvent être matérielles, humaines et culturelles – pour comprendre et créer à l’aide de combinaisons sémiotiques (l’écrit, l’image, le son, la cinétique, etc.) associées à des gestes propres au numérique (p. ex. : interaction, navigation, manipulation) (Lacelle et al. 2019). Les ressources numériques sont les outils (logiciels, applications, plateformes, interfaces, réseaux sociaux, etc.) et les supports numériques (tablettes, cellulaires, portables, objets connectés, appareils de réalité augmentée ou virtuelle, etc.) disponibles dans les environnements numériques (Cailleau, Bouchardon et Crozat 2018) et que les apprenants s’approprient pour faciliter la compréhension et la création de contenus et de formes (données, schémas, idées, pensées, savoirs, messages, œuvres, etc.). À la manière de Walsh (Walsh 2008), Kellner et Share (Kellner et Share 2007), Hobbs (Hobbs 2007), Kline, Stewart et Murphy (Kline, Stewart et Murphy 2006), nous favorisons une approche de la littératie médiatique critique, soit une approche intégrée ou holistique qui suppose un souci pour l’idéologie critique et une représentation de la politique, une incorporation des médias alternatifs, de même qu’une extension de l’analyse textuelle qui inclut le contexte social. Basée sur un public actif dans la construction du sens, cette approche tient compte de la compréhension des notions d’idéologie, de pouvoir et de domination, en plus de fournir des outils d’empowerment aux marginaux. Comme le soulignent Lebrun et Lacelle (Lebrun et Lacelle 2011), « [c]’est la voie vers une pédagogie transformée, qui suppose des projets collaboratifs [comme ceux de notre étude], analyse des matériaux polymorphes, polyvalents, polysémiques qu’il faut déchiffrer comme autant d’éléments culturels » (209).
Le présent article témoigne d’une expérience de collaboration avec des institutions scolaires et culturelles (Bibliothèque et archives nationales du Québec [BAnQ], la Cité-des-jeunes de Vaudreuil, l’Académie Dunton et la Maison de la culture Mercier) sélectionnées à partir d’une dizaine d’expériences de cocréation dans la région de Montréal, et réalisées auprès d’élèves du primaire et du secondaire. Nous présentons quelques données de trois projets pédagogiques qui sont en fait un affinement de nos recherches antérieures, menées selon la méthodologie de la recherche design en éducation (RDE). Lors de ces recherches, nous avons développé la méthode des quatre principes directeurs de la cocréation pour la conception de projets éducatifs en littératie numérique – la méthode des 4P – (Lacelle et al. 2019; Martel, Lacelle et Lalonde 2020; Richard et Lacelle 2020; Richard, Théberge et Majeau 2017) que nous appliquons à cette recherche. Le processus de cocréation a été expérimenté en contexte de bibliothèque publique avec des élèves du primaire et en contexte scolaire au cycle du secondaire, avec la collaboration des institutions culturelles pour la diffusion des productions numériques des jeunes sous forme d’exposition.
1. La cocréation et ses principes directeurs
Plusieurs recherches récentes démontrent la pertinence de recourir à la cocréation pour développer des compétences en littératie à travers des projets de recherche d’information et de création artistique (Bull et al. 2017; Lacelle et al. 2019; Lacelle et Parent 2019; Oliver 2016; Smith 2018). Adaptée à la pédagogie active, cette approche se base sur une théorie du savoir voulant que le sens émerge et s’incarne dans la coparticipation de chercheurs, de praticiens et de participants dans des contextes complexes, variés et bien définis (Anderson et Shattuck 2012; Basque 2015; Boutin et Lacelle 2017). La cocréation s’en remet à l’intelligence collective du groupe pour explorer les différents possibles d’une situation-problème, les discriminer et en retenir les plus appropriés en vue de sa résolution, et ce, dans une démarche itérative de partage des connaissances internes (Rill et Hämäläinen 2018).
La démarche de cocréation implique la participation collaborative de divers acteurs en fonction des contextes scolaires et culturels (élèves, enseignants, animateurs, chercheurs, conseillers pédagogiques, artistes, bibliothécaires, etc.) dans toutes les étapes de création d’une activité pédagogique (Lacelle et al. 2019). Ces dernières, qui s’ajustent aux besoins des projets ou aux désirs des acteurs, peuvent se décliner de multiples façons : portraits des besoins d’innovation et des expertises des milieux et des participants; partage des connaissances sur les concepts clés (littératie, support numérique, activité, etc.); négociation de l’intention pédagogique en fonction des ressources et des compétences visées par le projet; idéation, représentation et mise en œuvre des activités innovantes; réalisation des activités par l’équipe de cocréation; évaluation et ajustement. D’ailleurs, la cocréation d’objets pédagogiques est un processus imprévisible, motivant et transformateur qui mène au choc des idées en stimulant la collaboration entre chercheurs, enseignants et élèves; elle permet de remettre en cause les rôles traditionnels des acteurs ainsi que les structures de fonctionnement des organisations, ce qui contribue à l’émergence d’initiatives atypiques favorisant l’engagement des apprenants (Bergmark et Westman 2016).
Dans le cadre de la présente recherche, les principes méthodologiques directeurs pour la conduite et l’analyse de la cocréation ont été rassemblés en quatre catégories (les 4 P), qui seront décrites et même illustrées dans cet article soit : 1) la réalisation de Portraits ethnographiques et socioculturels des acteurs et des milieux; 2) la description du Processus de cocréation pédagogique entre chercheurs, partenaires et/ou élèves; 3) la description et la documentation des Projets réalisés par les élèves à chacune des étapes; et 4) l’analyse des Productions des élèves comme témoins du processus et des compétences acquises. Des ajustements à partir des principes de ces quatre catégories ont permis d’affiner et de valider les outils et les méthodes pour favoriser l’intégration du numérique dans des activités de littératie grâce à la cocréation. Ces principes de cocréation sont transférables aux institutions scolaires et culturelles (avec des variations des ressources, des participants et des lieux) qui souhaitent mettre en place une offre éducative en littératie numérique, surtout depuis l’intégration de Fablabs dans les secteurs jeunesse, notamment à BAnQ (Lacelle et al. 2019; Martel, Lacelle et Lalonde 2020).
2. La recherche design en littératie numérique
L’équipe de recherche en littératie médiatique multimodale (Lacelle, Boutin, Richard, Martel, Lebrun et Lalonde) a d’abord exploré en contexte culturel—en 2019— (puis en contexte scolaire avec la collaboration d’institutions culturelles) une démarche de cocréation d’activités adaptées aux ressources humaines, numériques, matérielles et culturelles des milieux participants pour en saisir les agencements propres à chaque activité, et en dégager des principes théoriques et didactiques. Dans la même perspective que nos recherches antérieures, la présente recherche emprunte la méthodologie de la RDE, soit un ensemble de principes et d’approches méthodologiques destiné à étudier les interventions dans des cadres réels complexes, qui comble l’écart entre théorie et pratique, et vise l’innovation (McKenney et Reeves 2012). La capacité particulière de la RDEest, entre autres, de produire à la fois des innovations qui répondent à un besoin pragmatique de terrain tout en participant à l’amélioration des connaissances sur le phénomène nouveau à l’intérieur duquel s’inscrit cette innovation. Ce besoin de terrain est comblé entre autres par une démarche de collaboration entre les acteurs des milieux impliqués, permettant la triangulation de l’objet d’étude pour répondre à la complexité de la situation pédagogique.
À titre d’exemple, la première situation de cocréation, exploratoire et préalable à la présente recherche impliquait le service de l’éducation de BAnQ, le programme Une école montréalaise pour tous (UEMPT), des enseignants volontaires évoluant dans des milieux défavorisés et des chercheurs, invités à accompagner les différents partenaires dans un projet permettant à chacun d’atteindre ses objectifs respectifs, tout en poursuivant un objectif commun : collaborer à la création d’activités de littératie numérique destinées à des élèves du primaire en recourant aux ressources numériques de BAnQ (La mission d’UEMPT est de contribuer à la réussite éducative de tous les élèves issus des milieux défavorisés pluriethniques montréalais, en tenant compte de leurs moyens et de leurs ressources). À la base de la recherche entreprise dans le cadre de cette étude, la demande de partenariat est venue des milieux, soit de BAnQ et d’UEMPT. Le service de l’éducation de BAnQ souhaitait impliquer des enseignants, des élèves et des chercheurs dans le processus d’élaboration de son offre éducative renouvelée par l’intégration de ressources numériques et UEMPT désirait participer à un projet favorisant le développement de compétences en littératie numérique chez les jeunes de milieux défavorisés. Notre équipe de recherche a été invitée par ces institutions à les accompagner dans ce projet qui s’est déroulé tout au long d’une année scolaire régulière (2017–2018). Les chercheurs et les représentants des organisations impliquées se sont rencontrés lors de deux demi-journées préparatoires avant le début des classes. Trois journées de cocréation pédagogique avec les enseignants collaborateurs ont suivi. C’est à la suite de ces trois journées de travail que les scénarios développés ont été implantés dans le contexte de visite de classes avec les élèves à BAnQ, ainsi que de visites des chercheurs dans les écoles, lors de la deuxième partie de l’année scolaire (voir Figure 1).
L’expérience de cocréation UQAM-BAnQ-UEMPT aura permis d’identifier les nombreux ajustements nécessaires à la réalisation d’activités impliquant des ressources numériques avec de jeunes élèves, et de repenser certaines pratiques pour les phases subséquentes d’élaboration du design de cocréation. Entre autres, lors des retours sur chacune des journées de cocréation, les chercheurs et leurs partenaires ont mieux cerné ce processus en définissant les concepts qui y sont liés et en identifiant les étapes parcourues. Pour répondre aux besoins de diffusion, les chercheurs ont dressé, à l’aide d’un questionnaire, « un portrait sommaire des pratiques numériques des élèves du primaire de trois écoles de Montréal » dans un rapport de recherche (Lacelle et Gervais 2018). Ils ont également décrit et documenté les projets de façon extensive sur différents supports (écrit, audio, photo et vidéo) ainsi qu’analyser les productions résultantes. Les données de cette première année ont donc permis d’asseoir les bases de ce qui deviendra les 4P. Elles ont aussi servi à préparer la deuxième itération du processus en RDE qui s’est poursuivi en milieu scolaire au secondaire auprès d’enseignants, d’élèves et de pédagogues spécialistes du numérique, avec la collaboration d’institutions culturelles pour la diffusion des productions des jeunes.
3. Description de deux projets pédagogiques selon les principes directeurs de cocréation
Dans une recension récente des RDE en milieux culturels et scolaires, Lacelle et Lalonde (Lacelle et Lalonde, à paraitre) identifient des dimensions propres à cette approche méthodologique. Nous présentons plus en détail, dans le cadre de cet article, deux projets pédagogiques impliquant des écoles et des institutions culturelles catégorisés d’après les quatre principes directeurs de cocréation évoqués précédemment (4P), ainsi que leur analyse selon quatre dimensions de la RDE : pragmatique, collaborative, exploratoire et itérative (Lacelle et Lalonde, à paraitre). Les collectes de données, que nous présenterons subséquemment, ont été effectuées à l’aide d’entrevues et d’entretiens libres avec les participants, de verbatims des rencontres de cocréation, de photos et de montages vidéos, de fiches et de documents de travail issus de ces rencontres, de productions d’élèves, ainsi que de documents préparés par les enseignants et les personnes-ressources.
3.1 Projet de web-série Si seulement… à la Cité-des-jeunes-de-Vaudreuil
Le projet de web-série Si seulement … (Roberge et al., 2019) a débuté par une discussion à la suite d’un projet de créations vidéos en classe de français. L’enseignant évoquait son intérêt pour éventuellement réaliser des courts-métrages dans le cadre de son cours et en est venu à mettre au défi un groupe d’élèves motivés à créer, à partir de rien, une web-série. Le projet s’est mis en branle et est devenu, selon les mots du pédagogue, « le projet des élèves » (Michaël Grégoire, 2019). Ainsi, les adolescents ont rédigé, filmé, réalisé et fait la promotion de leur web-série et, avec l’accompagnement de l’équipe de cocréation, ont effectué le lancement officiel de celle-ci lors d’un colloque à BAnQ, en plus de monter une exposition qui accompagnait cet évènement, et qui fut ensuite reprise à la Cité-des-jeunes-de-Vaudreuil.
Portrait
Ce projet de cocréation s’est déroulé dans à l’École secondaire de la Cité-des-Jeunes, une école publique qui se situe à l’ouest de l’ile de Montréal et qui possède un indice de défavorisation moyen de 5,5 (d’après l’indice de milieu socioéconomique [IMSE] fourni par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement Supérieur [MEES] pour l’année scolaire 2019–2020). L’école secondaire de la Cité-des-Jeunes se trouve sur un campus incluant un centre culturel avec une salle de spectacle, un centre des services de formation aux adultes, en plus des bureaux du centre des services scolaires de la région. Le centre de services scolaire soutient et accompagne les établissements scolaires d’un territoire qui lui est propre en leur rendant accessibles les biens et les services et en leur offrant les conditions leur permettant de dispenser aux élèves des services éducatifs et de veiller à leur réussite éducative. Instauré en 2020 par le MEES, il représente un nouveau modèle de gouvernance, celle-ci étant assurée jusqu’alors par le modèle connu de la commission scolaire. Cette proximité au centre culturel a permis aux élèves, par l’entremise de leur enseignant, de faire le lancement de la web-série à l’école, en plus du lancement officiel lors du colloque de BAnQ sur l’enseignement de la littérature avec le numérique au printemps 2019. Cette collaboration école-institution culturelle a également inspiré la promotion de la production filmique auprès du public de la Cité-des-Jeunes. Quant au centre de services scolaire, il a soutenu et accompagné l’établissement scolaire en lui rendant accessible les biens et les services et en lui offrant les conditions favorables à la réussite éducative. Pour mener à bien ce projet, les participants impliqués étaient multiples : un enseignant de français, trois élèves de 5e secondaire (sur la dizaine qui participait déjà à la web-série), une conseillère pédagogique du Réseau axé sur le développement des Compétences des élèves par l’Intégration des Technologies (RÉCIT), qui offre formation, soutien et accompagnement du personnel enseignant tout en développant une culture de réseau et de partage, ainsi qu’un professionnel en création numérique, en plus de la chercheuse et d’une assistante. Dans cette cocréation, les élèves étaient les porteurs du projet, et c’est en effectuant un suivi de très près avec eux de leur avancement, et aussi de leurs besoins (numérique, de formation, d’expertise), que l’équipe remplissait le mieux son rôle de collaborateur. Les expertises de la conseillère pédagogique et du partenaire en création numérique ont particulièrement aidé à la conception d’un plan de diffusion de la web-série et au développement de l’exposition qui accompagnait son lancement. Un autre facilitateur notable fut les ressources matérielles et technologiques de l’école mises à la disposition des élèves pour la réalisation du projet, aussi bien les locaux pour le tournage que les caméras et perches de son, ainsi que les dispositions prises par les organisatrices du colloque à la BAnQ pour le lancement officiel de la web-série et de son exposition en réalité augmentée.
Processus
Au printemps 2018, l’enseignant de français avait évoqué l’idée de mettre sur pied un projet de court-métrage après avoir fait l’expérience d’une séquence d’enseignement-apprentissage avec de la création vidéo. En discutant avec certains de ses élèves motivés à l’idée de mettre sur pied un nouveau projet de création, le pédagogue a suggéré cette idée de web-série, sous forme de projet parascolaire. Le format de la web-série a été privilégié, entre autres, dû aux moyens de diffusion envisagés par les élèves et l’enseignant [site d’hébergement de vidéos comme YouTube], en plus de ses caractéristiques qui permettent d’utiliser les mêmes décors, pour simplifier la production, d’aisément changer les perspectives selon les personnages, d’un fragment de récit à l’autre, tout en gardant un cadre fixe similaire pour l’intrigue. Une dizaine d’élèves se sont rassemblés pour créer une première version du scénario et pour discuter des rôles que chacun viendrait à prendre devant et derrière la caméra, répartissant le travail entre eux selon leurs forces et intérêts. En plus d’être accompagnés par leur enseignant de français, les adolescents eurent accès à d’autres personnes-ressources au sein de l’école, entre autres, au responsable de l’audiovisuel qui leur permettrait d’emprunter le matériel et d’en développer la maitrise ainsi qu’à l’enseignant d’art dramatique qui leur donna nombre de rétroactions et, de par ses contacts, à un vidéaste professionnel.
Alors que l’équipe de cocréation se formait à l’automne 2018, les élèves, maintenant en 5e secondaire, s’étaient organisés par eux-mêmes au courant de l’été pour débuter le tournage des scènes (p. ex. création d’indicateurs, répertoire de trames sonores, liste d’accessoires, etc.) sans les structures déjà proposées par l’enseignant ou même l’école. Et c’était l’un des éléments facilitateurs, selon certains des élèves, cet espace de liberté pour créer. C’est pourquoi, en se greffant à la recherche design en littératie numérique, le projet de web-série garda sa structure et son intention initiales et fut bonifié puisque les élèves eurent accès à davantage de ressources et d’expertises pour les assister. Il fut alors possible pour les jeunes de mieux envisager le processus de diffusion de leur création puisque l’équipe de cocréation leur donnait l’occasion – entre autres grâce à la chercheuse qui faisait partie de l’organisation du colloque à BAnQ – de réaliser un lancement officiel de la web-série en plus d’une exposition lors cet évènement. Ayant maintenant une date de tombée, un mal nécessaire à mettre en place pour terminer le projet selon les élèves, il était possible d’entrevoir un véritable échéancier en plus d’envisager plus clairement les étapes à venir. De plus, grâce à l’équipe de cocréation, les adolescents en charge d’effectuer le montage filmique ont pu compter sur l’assistance d’une vidéaste/monteuse en plus d’avoir une formation de la part de celle-ci sur de nouveaux outils auxquels ils n’avaient pas accès avant, dont Final Cut Pro. Ainsi, en décembre, les jeunes avaient déjà des extraits à montrer à l’équipe en plus d’envisager la création d’une bande-annonce pour la série, qui deviendrait la vidéo présentée au lancement officiel. À partir de ce point, l’équipe cogitait déjà quant au format de l’installation qui se retrouverait à l’exposition. Avec les connaissances du professionnel de création numérique, les jeunes ont exploré plusieurs pistes d’exploitation possibles, passant de la réalité virtuelle à l’installation numérique. Finalement, ils ont choisi d’insérer des codes QR pour ainsi accéder à de la réalité augmentée dans les affiches des personnages principaux de la web-série, ce qui permettrait selon les dires d’un des élèves « de mettre la table pour l’intrigue » sans dévoiler trop d’éléments de l’histoire (Xavier Roberge, 2019).
Jusqu’au colloque de mai 2019, les élèves se firent un point d’honneur de réaliser le plus grand nombre d’éléments associés à l’exposition, en plus de terminer les deux premiers épisodes de la série. De son côté, l’équipe de cocréation était surtout en soutien pour l’élaboration des affiches et des récits augmentés pour l’installation numérique. Il s’agissait d’affiches des personnages augmentées d’extraits de la web-série – et de contenus filmés pour l’occasion – qui permettait de jouer sur l’horizon d’attente des spectateurs. La chercheuse et l’assistante étaient en charge de la gestion, avec le colloque, de la salle d’exposition ainsi que du lancement officiel, alors que l’enseignant s’occupait de reproduire le plus possible les conditions de l’exposition et du lancement de la web-série à l’école même. Finalement, le lancement officiel eut lieu au colloque international organisé à BAnQ, en présence de toute l’équipe de cocréation et surtout de toute l’équipe de jeunes qui participaient, de proche ou de loin, au projet de web-série. Le visionnement de la bande-annonce eut lieu dans l’amphithéâtre de BAnQ suivie de la présentation d’une vidéo making of de la série, réalisée par la vidéaste de l’équipe de cocréation, et d’une allocution de la part des élèves (voir Figure 2).
Quant à l’exposition, une installation des six affiches avec réalité augmentée, réalisée à l’aide de iPads, fut mise à la disposition des participants du colloque pendant deux journées complètes. Les élèves ont également eu la chance d’en profiter pleinement lors de l’évènement, en plus de retrouver l’installation dans leur école. Ainsi, les adolescents ont eu l’occasion de revivre l’installation associée à la diffusion de leur web-série dans leur milieu scolaire (voir Figure 3) en plus d’en faire le lancement et de permettre le visionnement d’un premier épisode dans l’amphithéâtre du centre culturel de leur campus.
En somme, le projet de web-série fut lancé à BAnQ, en plus d’être diffusé sur les réseaux sociaux (avec des contenus inédits) et au sein même de l’école secondaire des porteurs de projet. Il s’agissait d’un des grands avantages de cette collaboration, que d’offrir d’autres possibilités de diffusion, d’extension et d’augmentation du projet.
Projet
Au printemps 2018, à la suite de la suggestion de leur enseignant, Xavier, Daphné, Jeanne, Mya et Jacob se sont regroupés et ont rédigé une première esquisse du projet après une « phase d’ébullition créative » pour reprendre les mots du pédagogue. Xavier avait déjà un point de départ pour l’histoire, soit la première scène : quatre adolescents devant un cadavre. Cela donna tout de suite le ton pour toute la web-série qui devint une histoire d’enquête incluant des enjeux plus près de la réalité des jeunes, sans pour autant emprunter un ton moralisateur. Les jeunes ont créé un répertoire d’idées sur les cinq personnages de départ en utilisant un fichier partagé en ligne (voir Figure 4) de la suite Google (qu’ils connaissaient et exploitaient déjà dans le cadre de leurs cours) dans lequel ils ajoutaient des idées, des images, etc. Puis, rapidement, les balbutiements du projet prirent la forme d’un scénario de 48 pages.
La première version du scripte fut relue par leur enseignant de français, mais également par un enseignant d’art dramatique de l’école qui les encouragea à donner plus de profondeur à leurs personnages, pour les rendre plus humains et moins stéréotypés. Il a d’ailleurs remis en question les sentiments des élèves et leurs positions de spectateur par rapport à l’identification, l’empathie qu’ils éprouvaient envers les personnages, ce qui a davantage orienté leurs choix narratifs. Cela a amené les adolescents à retravailler le scénario et à créer un espace d’échanges grâce à la fonction commentaires du dispositif numérique. Ainsi, il y a eu des annotations faites par tous les participants du projet quant au déroulement des scènes, aux indications pour les costumes et les décors, ainsi que pour la musique, entre autres, grâce à l’ajout d’hyperliens (voir Figure 5). Ce fut surtout leurs référents culturels qui guidèrent ces choix.
Puis, les élèves en sont arrivés à un récit non linéaire proposant les points de vue de chacun des personnages sur la tragédie. Désirant réaliser une histoire qui pouvait se fragmenter et avec une fin ouverte, ils ont opté pour organiser leur scénario en une série d’épisodes de 10 à 20 minutes chacun, en s’inspirant d’exemples de séries web qu’ils ont trouvés par eux-mêmes. Des sous-équipes se sont formées par groupes d’intérêts pour réaliser la web-série et les jeunes se sont attribué des rôles complémentaires. Par exemple, Xavier, qui avait déjà de l’expérience comme acteur dans des séries télévisées et qui avait un fort intérêt pour la réalisation, s’est proposé pour occuper un des rôles en plus d’être réalisateur. Daphné, qui, au contraire, préférait se retrouver derrière la caméra, est devenue réalisatrice et chargée de projet, car très organisée. De plus, les jeunes ont créé beaucoup d’autres documents sur leur dossier partagé, en périphérie de leur scénario, pour garder des traces, par exemple de lettres adressées aux artistes concernant les demandes pour la diffusion de musique, pour les droits d’auteur, ainsi que leur suivi, des listes en format tableur pour les accessoires nécessaires lors du tournage de scènes, etc. Bien qu’il y ait eu des soucis techniques avec la suite bureautique de Google, tels que la compatibilité de fichiers avec certains appareils, ces outils ont grandement facilité la rétroaction entre les élèves et l’enseignant, ainsi que le suivi quant à la progression du projet. Tout le monde en avait une bonne compréhension et s’en servait avant tout pour laisser des traces écrites et sonores sur les documents numériques. Par la suite, l’enseignant de français a accompagné l’équipe dans la relecture de la version finale avant de l’orienter vers les ressources de l’audiovisuel de l’école pour entreprendre le tournage des premières scènes. Après avoir reçu quelques ateliers de formation et s’être appropriés les outils et le matériel nécessaires, les élèves se sont mis à filmer les scènes et à faire le montage de certaines d’entre elles, sans un ordre préétabli. Laissés un peu à eux-mêmes lors de l’été, les élèves ont tout de même énormément apprécié cette liberté pour créer. L’école leur prêtait l’équipement en toute confiance – c’était d’ailleurs l’un des besoins exprimés – ce qui leur a permis d’explorer davantage et d’apprendre par la même occasion un peu plus les rouages du tournage, de la technique, du jeu d’acteurs, etc.
Avec l’arrivée de l’équipe de cocréation à l’automne, les élèves ont pu considérer davantage la diffusion de leur production finale. Alors qu’il était déjà envisagé de partager la web-série sur une chaine YouTube (puisqu’il s’agit d’une plateforme facilement accessible sur laquelle il est possible de suivre les statistiques de visionnement – un enjeu soulevé par les élèves –, la chercheuse a proposé de faire un lancement officiel lors de la soirée dédiée aux performances d’artistes numériques du colloque à BAnQ. En considérant les dispositifs narratifs numériques disponibles et réalisables, l’équipe a proposé la création d’affiches avec de la réalité augmentée, pour ainsi dévoiler les personnages et l’intrigue de la web-série, en plus d’offrir une expérience enrichie de l’œuvre. Ainsi, les élèves ont entrepris de terminer le tournage de la web-série tout en débutant la promotion de celle-ci. Un compte Instagram fut créé par Xavier pour faire connaitre le projet auprès de leur public cible (des adolescents utilisateurs de cette plateforme) et créer un sentiment d’attente chez les spectateurs grâce à des extraits vidéos ou des photographies inédites, alors que la vidéaste de l’équipe de cocréation a entrepris de documenter tout le processus de réalisation. Pendant ce temps, l’équipe de jeunes entreprenait également le montage des premiers épisodes ainsi que de la bande-annonce, avec l’aide de la vidéaste. Le professionnel en création numérique assistait aussi les adolescents dans la création de la réalité augmentée grâce à l’application ROAR, orientant les élèves à utiliser certaines images et de courtes vidéos au lieu de créer de nouvelles trames narratives pour les affiches, ce qui aurait décuplé le travail des jeunes. De leur côté, la chercheuse et son assistante organisaient l’exposition pour le colloque à BAnQ et les installations techniques nécessaires pour celle-ci. L’installation a été grandement appréciée par les participants du colloque et ses organisateurs. À la fin de celui-ci, le projet fut rapatrié à la Cité-des-jeunes et, avec l’aide de l’enseignant, une seconde exposition eut lieu avec un lancement local de la web-série et de ses premiers épisodes.
Production
Si seulement… raconte les relations houleuses de cinq jeunes et les diverses péripéties qui ont mené à l’assassinat de l’un d’entre eux, William. Le récit est fait de façon non linéaire, se manifestant par les voix des quatre potentiels meurtriers : Maïka, Océane, Vanessa et Antoine. Mariant analepses et points de vue multiples, l’histoire présente plusieurs facettes des évènements qui ont escaladé jusqu’au crime, exposant les possibles motifs du meurtre tout en teintant chacun des personnages en de possibles coupables. Ainsi, on apprend à connaitre les quatre adolescents ainsi que William, par les réminiscences qui le présentent, ainsi que les secrets qui les lient.
La web-série est constituée de 10 épisodes, variant entre quatre et 15 minutes, en plus d’une bande-annonce et d’un making of, tous disponibles sur YouTube. Lors de ce projet, les élèves ont également créé un compte Instagram pour partager des photos et de courtes vidéos inédites, alors qu’une exposition fut élaborée autour des cinq principaux personnages avec l’aide de l’équipe de cocréation. Dans le cadre de cet article, nous nous intéresserons davantage à l’installation, qui avait lieu lors du colloque à la BAnQ et qui a été reprise dans le milieu scolaire des élèves porteurs du projet, ainsi qu’au dispositif numérique de réalité augmentée qui l’agrémentait.
Pour le lancement, cinq affiches de grand format furent créées, chacune présentant la photographie d’un des personnages (voir Figure 6) et un marqueur distinct pour l’application de réalité augmentée, ROAR, grâce à laquelle l’expérience des participants présents venait à être enrichie. Ayant pour objectif de jouer sur l’horizon d’attente du public, l’installation servait de prémisse, entre autres, pour révéler les personnages et dresser un portrait de leur relation avec William, mais surtout pour donner des informations clés qui pouvaient les incriminer. Les élèves tenaient à mettre en évidence que Maïka, Océane, Vanessa et Antoine avaient tous des raisons pour commettre le crime et que, à la manière d’un whodunit, c’était la structure de l’énigme ainsi que sa résolution qui étaient au cœur de leur web-série. En effet, l’expérience du spectateur, autant quant à la web-série que le dispositif de réalité augmentée, était un élément prédominant auquel réfléchir pour les élèves.
Ainsi, les jeunes ont décidé de faire la superposition d’une vidéo pour chacun des marqueurs/personnages, élaborée à partir d’un montage vidéo (fait à l’aide de Final Cut Pro), de diverses scènes où les quatre personnages interagissaient avec William. Une des idées initiales était d’ajouter la voix de l’adolescent assassiné, pour ainsi donner son point de vue puisqu’il s’agit de l’un des rares personnages dont la perspective n’était guère présente dans la série, en plus d’ajouter en superposition son ombre qui se déplaçait sur la trame vidéo au même rythme que le spectateur avec l’appareil. Cependant, avec les fonctionnalités de l’application ROAR, il était impossible de rajouter plusieurs couches (seconde piste audio, vidéo 360̊) sans entreprendre de programmation complexe. Néanmoins, pour ajouter un effet de perspective différente, les élèves ont eu recours aux codes visuels en ajoutant un rendu en noir et blanc à la vidéo, comme pour les photographies, avec des effets de grisaille et de distorsion (voir Figure 7), tout en gardant une des trames sonores utilisées pour les moments dramatiques de la série, pour amplifier l’effet sombre et angoissant.
Les élèves ont décidé de miser sur le point de vue de William lors de l’exposition, considérant qu’il était rarement exposé dans l’œuvre originale, et sur une esthétique épurée – images en noir et blanc – tout cela dans le but de encore jouer sur l’horizon d’attente des spectateurs. Enfin, lors de l’exposition, de grandes affiches furent accrochées au mur de la salle, alors que des iPads étaient disponibles pour visionner les extraits vidéos (d’une durée de 30 à 60 secondes) en réalité augmentée (voir Figure 8). Il était possible de circuler avec l’appareil parmi la pièce et de voir, avec des effets de profondeur variables, selon les déplacements, les films et images des personnages sous forme de calques.
La création de cette installation a permis aux jeunes de mobiliser un grand nombre de compétences en LMM en contexte numérique de haut niveau, que ce soient des compétences cognitives (extraire des informations clés incriminant les personnages), pragmatiques (penser l’expérience du spectateur dans le dispositif), sémiotiques (découper le récit en segments), modales (réaliser une affiche misant sur les codes visuels) et multimodales (composer un ensemble multimodal d’une fiction qui se déploie sur plusieurs supports, réaliser une vidéo misant sur les codes visuels et sonores), et ce, de manière inédite puisque ces derniers expérimentaient pour la première fois un format rendu possible grâce à de nouvelles technologies.
3.2 Projet Traces : jeu de quête pour les Portes ouvertes de l’Académie Dunton
À l’Académie Dunton, les élèves de troisième secondaire ont conçu et créé un jeu intitulé Traces : jeu de quête qui serait proposé aux visiteurs lors de la Journée Portes ouvertes de l’école. Cette quête visuelle, sonore et textuelle, se vivant tant entre les murs physiques de l’établissement scolaire que dans un environnement numérique créé de toutes pièces, transforme l’école en véritable espace de création, ainsi qu’en lieu de diffusion du projet. Traces : jeu de quête avait pour objectif de faire découvrir le milieu scolaire de façon ludique aux jeunes voulant éventuellement s’y inscrire ainsi qu’à leurs parents. Cette initiative d’élèves permettait d’intégrer la création multimodale de missions, de badges, d’univers photographiques 360̊ et de codes QR, permettant aux visiteurs de saisir les caractéristiques saillantes des lieux scolaires.
Portrait
Située dans l’arrondissement montréalais de Mercier-Est, l’Académie Dunton est une école publique du centre de service scolaire de Montréal dont l’indice de défavorisation est de 9. Elle offre des programmes régulier et enrichi avec immersion en anglais, ainsi qu’une concentration sport. Reconnue comme une « cyber école », elle intègre transversalement le multimédia de même que les technologies de l’information et de la communication au sein des disciplines enseignées (Moriet, 2020). Il est donc naturel que les enseignants de ce milieu aient trouvé des affinités avec des projets pédagogiques reliés à la LMM et à la sphère numérique. Reflétant le dynamisme du corps enseignant et de la direction, cette école accueille sur une base régulière des stagiaires et participe à de nombreux projets en collaboration avec les milieux communautaire, universitaire et culturel. Il est pertinent d’indiquer que l’école reçoit chaque année un artiste en résidence et organise conjointement avec la Maison de la culture Mercier des expositions annuelles pour valoriser les travaux de création artistique des élèves et le travail réalisé par l’artiste à l’école. Dès le démarrage du projet, il était prévu que la création des élèves se retrouverait dans l’exposition de cette institution culturelle. Le projet de recherche a été conduit avec une enseignante en arts plastiques et un enseignant en français, travaillant en constante collaboration. Deux groupes étaient initialement visés pour ce projet, soit une classe de 3e et une de 5e secondaire. Dans le cadre de la mise en place et de la réalisation du projet, l’équipe a pu aussi compter sur l’expertise d’une conseillère pédagogique du RÉCIT du domaine des arts afin de proposer des technologies adaptées au projet ciblé, présenter des démonstrations sur leurs potentiels d’usage et prêter certains équipements plus sophistiqués. Enfin, le projet a été suivi par une chercheuse et une assistante de recherche pour encadrer et documenter le processus.
L’Académie Dunton possède un grand nombre de ressources numériques dont un laboratoire muni de 34 postes d’ordinateurs, une dizaine de iPads, des lunettes de réalité virtuelle, de l’équipement audiovisuel et de nombreux logiciels. La disponibilité technologique ouvrait donc les horizons des élèves autant que des enseignants pour développer des projets numériques multimodaux en plus de favoriser leur intérêt et leur motivation.
Processus
Précisons que ce projet avec l’Académie Dunton était tout à bâtir, dans une nouvelle aventure de cocréation pédagogique. Des rencontres itératives de démarrage entre les deux enseignants, la conseillère pédagogique et la chercheuse ont eu lieu à l’automne 2018. Il était nécessaire de cerner les objectifs, la méthodologie de recherche et les paramètres de la cocréation. Par la suite, des discussions actives ont eu lieu quant au désir des enseignants de croiser la thématique annuelle de l’école, Ma place dans l’univers, au projet cocréé. Les premières idées des enseignants tournaient autour de préoccupations spatiales reliées au quartier, qui pourraient être mises en forme avec des procédés tels que la réalité virtuelle, la géolocalisation ou la mise en récit, et des outils comme Google Street View, Storysphère ou GeoGuess. Ce désir devait se concrétiser avec les ressources numériques et technologiques disponibles à l’école tout en ficelant des liens avec les activités reliées aux partenariats déjà établis avec différents acteurs externes (notamment l’artiste en résidence et la Maison de la culture). Ces prémisses de départ ont donné lieu à la préparation de rencontres organisées avec les élèves des deux groupes ciblés.
En décembre, sept élèves ont participé à une première rencontre de cocréation planifiée autour d’activités d’amorce : présentations d’œuvres artistiques reliées à la thématique annuelle et à la cartographie comme démarche artistique; démonstrations techniques des réalités virtuelle et augmentée, de même que discussion sur de possibles partenaires et ressources technologiques pour la réalisation du projet. Par la suite, une tempête d’idées s’est déployée à l’aide de post-it et d’une cartographie avec crayons-feutres sur tableau blanc (voir Figure 9). À relais, les élèves se levaient pour inscrire de nouvelles idées au tableau collectif. À ce moment, on sentait bien le déclencheur positif que provoquait l’usage de moyens analogiques pour le partage des multiples idées et la construction d’une proposition commune. En deuxième partie de cette rencontre, deux élèves volontaires et disponibles sont restées afin de poursuivre la négociation à partir des idées explorées avec le groupe. Cette discussion allait aider à identifier un projet plus précis. L’idée d’un jeu vidéo combinant réalités augmentée et virtuelle pour la recherche d’indices dans des lieux précis est ressortie. Il s’en dégageait l’intention prégnante de « laisser sa trace » dans une dynamique de « cherche et trouve ». Les paramètres n’étaient pourtant pas encore précisés : était-ce un grand projet parapluie recouvrant d’autres sous-projets ou un seul projet plus ciblé? À la fin de cette période s’est exprimé le désir un peu confus de l’équipe d’hybrider l’analogique et le numérique avec l’origami (technique employée par l’artiste en résidence) et le son. À partir des technologies disponibles ou imaginables, les élèves cherchaient des façons de rendre compte d’une quête et de la faire vivre à travers des indices visuels avec la photographie 360̊, des ambiances sonores et des constructions analogiques comme le papier plié.
La négociation du projet s’est poursuivie lors d’une deuxième demi-journée de cocréation à l’UQAM en février 2019. Les deux élèves désignées, les enseignants et la chercheuse ont approfondi les idées soulevées en décembre. L’équipe est arrivée à une proposition commune, le projet Traces, dans laquelle une multitude d’activités de documentation et de création allaient s’insérer. Ce projet consistait en un jeu de quête in situ servant à animer la Journée Portes ouvertes de l’école à l’aide d’indices multimodaux pour découvrir les lieux. Les intentions du projet ont été formulées avec les élèves : « découvrir son milieu scolaire au-delà de ses expériences individuelles [et] laisser sa trace parmi les Duntoniens ». Cette volonté transmutait le lieu scolaire en authentique espace artistique, utilisant non seulement ses lieux spécifiques comme éléments de base pour créer, mais également, à l’issue de sa réalisation, comme espace de diffusion au cours des Portes ouvertes de l’automne suivant. Lors de cette deuxième période de cocréation, la chercheuse a proposé d’utiliser les étapes de réalisation d’un projet artistique : 1) exploration [sensorielle] de la proposition; 2) élaboration du projet de création; 3) distanciation critique face aux productions; à laquelle s’ajoute 4) la diffusion du projet dans un dispositif de présentation (ici exposition et Portes ouvertes). Ces étapes font écho à la démarche de création du programme d’arts ministériel, mais aussi à celles de la recherche documentaire, deux démarches ciblées par cette recherche. Une semaine plus tard, des sous-étapes pour l’élaboration ont été précisées lors d’une rencontre avec les enseignants et une élève. Elles comprenaient une dense liste d’activités de recherche documentaire et de production que l’équipe a eu un peu de difficulté à mettre en place dans une cocréation véritable, de par les enjeux logistiques et la disponibilité restreinte des élèves. À ce moment, la chercheuse a proposé un outil sous la forme d’un plan d’action intégrant un calendrier pour gérer le temps, les activités et les rôles de chacun pour mener à bien le projet. À noter que les jeunes étaient consultés sur la cocréation tout au long du projet.
Projet
C’était déjà la mi-mars lorsque la proposition a été présentée en classe de 3e secondaire, l’autre groupe manquant de disponibilité pour poursuivre le projet. À l’étape de l’exploration, l’enseignant de français a préparé un sondage sur les habitudes de fréquentation des lieux de l’école par les élèves, intégrant ainsi une forme de représentation peu habituelle en arts ou en langues. Ce sondage permettait de bien connaitre le sujet de la création qu’étaient devenus les lieux de l’école pour bien orienter les paramètres projet. Par la suite, les élèves regroupés en équipe ont identifié plus spécifiquement des lieux potentiels pour la quête, puis ils ont recensé avec l’enseignant des stratégies de jeux sur le web, s’initiant ainsi à la recherche documentaire structurée et, entre autres, à la validation des sources. Lors de l’étape d’élaboration, ils ont dû s’approprier les procédés et outils technologiques pour répondre aux besoins du projet. Notamment, pour représenter les lieux de l’école, les élèves ont choisi la réalité virtuelle pour la création de photosphères (photographie 360̊). L’appui de la conseillère pédagogique du RÉCIT s’est avéré ici incontournable : elle a présenté un outil accessible pour la production de ces images, soit l’application Google Street View. Sa démonstration a mobilisé les élèves dans la production d’images sur les lieux choisis de l’école, pour ensuite les inciter à transférer leurs savoirs pour représenter des lieux repérés en arrimage avec les sous-quêtes, sous la forme de missions.
Le choix de la ressource technologique pour rassembler les sous-quêtes de chaque équipe s’est arrêté sur l’application en ligne Action Bound, une application ludique populaire, près de la culture des jeunes et spécifiquement conçue pour créer des chasses au trésor interactives. L’équipe a alors présenté l’application aux élèves en soulignant sa dimension multimodale : possibilité de stratégies de jeu intégrant textes, images et sons. Un tutoriel vidéo leur a également été présenté pour les initier à l’application. Cependant, les élèves ont eu besoin d’une démonstration concrète du jeu pour s’approprier ses potentialités et son mode de fonctionnement. Une personne-ressource, un étudiant en arts de l’UQAM, a été invitée à créer et faire vivre une quête auprès des élèves. Ces deux outils, c’est-à-dire Google Street View et Action Bound, avaient été relativement bien saisis par les élèves pour les amener à élaborer le projet. Un canevas écrit a alors été conçu par la chercheuse pour l’élaboration de chaque sous-quête par les élèves, afin de les aider à organiser leurs idées (voir Figure 10).
Cependant, la proposition était d’envergure et les activités pédagogiques et de création n’ont pu toutes arriver à leur terme. Le calendrier scolaire avançait très rapidement. Il aurait fallu pouvoir raffiner les sous-quêtes, établir des niveaux de progression de jeu, agencer les sous-quêtes dans Action Bound pour activer le jeu de façon définitive, créer des badges, mais cela ne s’est pas avéré. Avec le recul, on constate que le projet est demeuré exploratoire, avec la production d’artéfacts : sous-quêtes textuelles, gif animé (voir Figure 11), réalisation de photosphères (voir Figure 12), création de codes QR donnant accès à des sous-quêtes et à un jeu incomplet. Ces explorations, agencées au processus d’idéation négocié constamment avec les élèves, auront permis aux participants de découvrir comment on peut imaginer des projets significatifs à partir des ressources technologiques et humaines du milieu, et comment on peut donner forme à ces idées aux moyens de médiums variés sollicitant la sensorialité et se déployant à travers la multimodalité.
L’étape de diffusion prévue au moment des Portes ouvertes de l’école n’a pas eu lieu, faute de temps. Cependant les artéfacts multimodaux résultant des activités de création ont pu être exposés à la Maison de la culture Mercier sous la forme artistique d’un work in progress (voir Figure 13). Les photosphères, canevas de quêtes, code QR, ainsi que des images documentaires d’élèves au travail ont été disposés sur les murs de la galerie afin de témoigner de façon interactive des intentions informatives, ludiques et artistiques de ce projet. L’intention de cette institution culturelle, quant à elle, est de mettre en lumière le travail des jeunes du secteur et de les inciter à venir re/découvrir le lieu culturel attenant à leur bibliothèque de quartier. Cette diffusion favorisait ainsi la liaison entre la communauté et le milieu culturel public.
Production
La production des élèves se résume en la conception et la production de la structure d’un jeu de quêtes qui serait opéré dans l’application en ligne Action Bound, rassemblant la réalisation de quelques sous-quêtes repérables dans différents lieux de l’école. Le jeu a été créé en lien avec les intentions préalablement identifiées, soit laisser une trace dans son environnement, et pouvait être consulté à l’aide d’un code QR. Malheureusement, par manque de temps, les sous-quêtes élaborées en équipe n’ont pu être toutes réalisées ni évaluées dans le temps imparti à la recherche. Toutes les étapes de cocréation pédagogique et de cocréation ludique/artistique du projet ont donné lieu à des productions en progression (work in progress), certes diffusables dans un dispositif de présentation artistique, soit l’exposition. Malheureusement, seuls les enseignants et l’équipe de recherche ont participé à l’organisation de cette dernière (carton d’invitation, impressions, plan du montage) avec l’équipe de la galerie d’art. Toutefois, la diffusion du projet dans un lieu reconnu, avec l’aide de professionnels, a permis de boucler l’expérience de façon satisfaisante pour tous, tout en donnant de la visibilité à la recherche.
À la lumière des informations partagées précédemment, on constate que le plein engagement dans la cocréation, de l’idéation à la diffusion du projet, a entrainé les enseignants et les élèves dans une gestion constante de la négociation. Si cela a gêné l’aboutissement de la production, cette exploration a tout de même généré, tant pour les apprenants que les enseignants, des pistes très riches qui ont permis d’entrevoir de multiples façons de mobiliser des ressources multimodales. On peut penser à la réalité virtuelle qui sollicite à la fois les modes visuel, spatial et cinétique, à la conception et à la réalisation de sous-quêtes qui s’arriment à l’identification d’indices textuels, visuels, graphiques et sonores, et à la réalité augmentée qui incite à la mobilisation du corps dans l’espace, faisant ainsi appel aux modes spatial, tactile et kinesthésique.
Ce jeu de quête destiné aux futurs élèves de l’école, pour leur permettre de découvrir leur nouveau milieu, faisait surtout appel à la compétence cognitive, mais aussi affective. Les élèves devaient produire un message multimodal en structurant à l’écrit une quête et l’incorporer à des indices visuels et sonores intégrés dans l’espace virtuel, soit la photosphère, dans le but de susciter à la fois l’engagement, le traitement critique de l’information, le plaisir ludique et l’expérience esthétique des participants. Des compétences pragmatiques ont également été mobilisées : les élèves devaient anticiper le contexte de réception, c’est-à-dire comment les visiteurs allaient saisir les liens entre les espaces réels (les lieux visités dans l’école) et les lieux virtuels construits à partir d’éléments à la fois réels et fictifs. L’élaboration du projet a aussi sollicité les compétences modales (écriture de quêtes, création d’espaces par la photographie) et les compétences multimodales (l’agencement des quêtes aux espaces visuels virtuels tout cela attaché par un code QR). Somme toute, plusieurs compétences en LMM ont été mobilisées par ce projet en contexte numérique, mais les compétences critiques et évaluatives n’ont pu l’être faute de temps.
4. Analyse selon les dimensions de la recherche design en éducation
Dimension pragmatique
Dans notre recherche design, nous avons réalisé des itérations de Portraits des milieux et des participants en misant sur la dimension pragmatique de la RDE. Voici quelques exemples d’ajustement des Portraits : avant de débuter la démarche de cocréation, il est important de brosser le portrait des équipes (chercheurs universitaires et praticiens, assistants, jeunes), des établissements scolaires et culturels ainsi que des ressources numériques et matérielles disponibles. Des banques de données statistiques et ethnographiques doivent être consultées en vue de réaliser un portrait juste et actuel des jeunes et des institutions sélectionnées. Une meilleure connaissance des ressources des milieux s’est avérée un facteur de réussite de la cocréation dans les projets présentés ci-haut. À l’inverse, le manque de connaissances des ressources matérielles et humaines des institutions scolaires et culturelles pour des projets pédagogiques numériques – les milieux colligent très peu de données sur ces ressources et leurs usages – peut nuire au processus, au projet et à la production.
Dimension exploratoire
Nous avons également réalisé des itérations de Projets et de Productions misant sur la dimension exploratoire de la RDE. Voici quelques exemples d’ajustements des Projets : les étapes de la réalisation des activités pédagogiques, les documents utilisés pour encadrer leur réalisation, les outils technologiques mobilisés, etc. sont décrits, puis expérimentés. Les itérations entre projets (d’un projet à l’autre) et entre disciplines (d’une discipline à l’autre) ont permis d’explorer sur le terrain la manière dont s’incarnent des hypothèses théoriques dans des activités pédagogiques conçues avec les acteurs des milieux afin de procéder à des améliorations et de dégager des principes directeurs dans la conception de projet impliquant les technologies. Par exemple, la demande récurrente de prévoir une étape d’idéation du projet sur papier s’est avérée positive. Il semblerait que les élèves aient besoin de se représenter matériellement une idée de projet numérique (voir projet Traces). Ou encore l’idée de laisser les jeunes improviser des outils de création et se répartir les rôles en fonction de leurs intérêts, personnalités et expertises s’est avérée une formule gagnante pour les projets Traces et Si seulement… Toutefois, l’enthousiasme des équipes de cocréation pour les nouvelles technologies a mené à une surexploitation des supports et des outils technologiques qui ne tenait pas compte du temps de leur appropriation et du temps de réflexion par les élèves. Ces derniers ont d’ailleurs exprimé que la nouveauté des concepts, des formats et des technologies pouvait nuire à leur sentiment de compétence. Seuls les jeunes qui ont réalisé leur projet en parascolaire se sont donné du temps pour explorer les logiciels de manière à les utiliser efficacement. La motivation de présenter leur projet lors d’un lancement officiel a aussi joué dans le temps investi dans le projet.
Voici quelques exemples d’ajustement des Productions : l’évaluation des productions des élèves par les éducateurs et les chercheurs, ainsi que les entretiens postproduction, ont permis de faire certains constats sur la mobilisation de plusieurs compétences en littératie numérique. Par exemple, les productions d’élèves expérimentés démontrent une maitrise des langages, outils et formats qui surpassent les attentes pour des élèves du secondaire. À l’opposé, le peu d’expérience des élèves dans la réalisation de projets en littératie numérique a mené à un appauvrissement du message, selon les éducateurs, et à une déception quant à la qualité de la forme, chez les jeunes qui souhaitaient arriver à un produit de niveau professionnel. De plus, les dispositifs de consultation des productions numériques compliquent leur installation dans les salles de classe. Les projets qui ont prévu un lieu permettant la consultation des productions dans une salle d’exposition, comme celui de Dunton, ont mieux réussi à optimiser l’expérience de réception des productions.
Les activités cocréées à partir de technologies de la réalité augmentée ont poussé les élèves à penser la communication de leurs fictions dans d’autres formats, à l’intérieur d’ensembles multimodaux et en fonction d’installations permettant leur consultation. Ces projets ont permis aux jeunes de mobiliser des compétences cognitives (extraire des informations clés d’une situation), pragmatiques (penser l’expérience du spectateur dans un dispositif), sémiotiques (découper les contenus en segments) et, plus spécifiquement, modales (réaliser des productions misant sur divers codes) et multimodales/multimédiatiques (composer un ensemble multimédia qui se déploie sur plusieurs supports). Et cela s’est fait de manière inédite puisque ces expérimentations numériques se réalisaient pour la première fois dans un format rendu possible grâce à une nouvelle technologie. C’est ainsi que chaque projet participe à la construction de la grille de compétences en LMM qui, elle-même, guide l’introduction de nouveaux objets dans les didactiques disciplinaires.
Dimension collaborative
Nous avons réalisé des itérations du Processus de cocréation misant sur la dimension collaborative de la RDE. Voici quelques exemples d’ajustement du Processus de cocréation : à l’occasion du processus de cocréation, des équipes diversifiées doivent être créées en fonction notamment des affinités disciplinaires des acteurs impliqués. Une fois créées, ces équipes recensent et explorent les ressources numériques, humaines, matérielles et culturelles des milieux choisis et en dressent un inventaire précis. Les acteurs doivent être initiés progressivement aux concepts de la recherche (numérique, littératie, multimodalité, etc.). Les équipes amorcent ensuite la cocréation des pratiques à partir de l’enjeu commun : le développement de la compétence numérique chez des élèves du primaire et du secondaire. Pendant le processus, chaque étape de la réalisation doit être documentée en recensant notamment les facilitateurs et les freins du point de vue des élèves, des éducateurs et des chercheurs, ainsi qu’en identifiant les éléments de compétences (numériques et en LMM) développés par les élèves. Plusieurs étapes de ce processus ont dû être revues, particulièrement en ce qui concerne l’équilibration du degré d’implication des jeunes. Ainsi, il a été plus productif de les impliquer en fonction de leurs besoins d’accompagnement, comme cela a été fait pour le projet de web-série, contrairement au projet Traces, qui a été ralenti par une négociation constante avec les élèves participants à toutes les étapes de la cocréation. Outre la nécessité de définir les rôles et les objectifs des participants dès les premières rencontres de cocréation, nous avons également fait le constat de l’importance de la stabilité dans les équipes et de l’implication de participants d’un même milieu. Ainsi, la réussite des projets Traces et Si seulement… repose sur le soutien de la direction, une collaboration stable entre la conseillère pédagogique de l’école, un enseignant expérimenté, un technicien en audiovisuel, la représentante du RÉCIT, une chercheure et son assistante. A contrario, l’instabilité de la composition de l’équipe a mené à une incompréhension du processus de cocréation et a fragilisé le projet dans certains milieux.
Dimension itérative
Comme nous l’avons vu, la recherche design en LMM s’appuie sur quatre catégories reliées à des principes directeurs de cocréation, issus des résultats de nos recherches antérieures (Lacelle et al. 2019; Martel, Lacelle et Lalonde 2020; Richard et Lacelle 2020; Richard, Théberge et Majeau 2017), soit la réalisation de Portraits ethnographiques et socioculturels des acteurs et des milieux, la description du Processus de cocréation, la documentation des Projets cocréés et l’analyse des Productions des participants. Des ajustements à partir de ces principes ont permis de valider les outils et les méthodes pour favoriser l’intégration du numérique dans les activités de littératie associées à celles d’autres disciplines en classe grâce à la cocréation. Dans notre recherche design, l’itération s’applique d’un projet à l’autre, d’une discipline scolaire à l’autre, d’un milieu scolaire/culturel à l’autre pour les 4P. Ainsi, la dimension itérative est au cœur des méthodes de recherche visant à modéliser les principes directeurs de la cocréation d’activités en littératie numérique.
Conclusion
L’analyse des données a permis de raffiner la grille de compétences en LMM afin de poursuivre de nouvelles recherches sur son application. Ainsi la validation progressive de principes directeurs de la cocréation, la construction graduelle d’un répertoire d’activités didactiques de littératie numérique et le raffinement d’une (re)théorisation des compétences en LMM doivent se faire en concomitance. Le projet entre maintenant dans sa 4e phase (Boutin [resp.], Lacelle, Lalonde, Lebrun, Richard, Parent, Brehm, Martel [co-chercheurs] —FRQSC-MEES—[Boutin et al. 2020–2023]) sous la forme d’une recherche-action, sous la direction de Jean-François Boutin (UQAR-Lévis) et d’une dizaine de co-chercheurs, dont les objectifs sont les suivants : cocréer des activités pédagogiques s’appuyant sur la compétence numérique et le référentiel de compétences en LMM; mettre en œuvre, analyser et ajuster, avec des jeunes du secondaire, des pratiques pédagogiques favorisant le développement de la compétence numérique et du référentiel de compétences en LMM; ajuster ce référentiel afin de mieux y incarner l’intégration de la compétence numérique; cocréer une progression initiale des apprentissages en LMM et une liste d’indicateurs en vue de l’évaluation de la compétence numérique et des compétences en LMM. La collaboration avec les institutions culturelles fait maintenant partie du projet, dès l’étape de conception. Ainsi, après avoir vécu la réalisation de projets de littératie numérique en milieu culturel – invitant les écoles à participer à l’expérimentation d’une nouvelle offre éducative – nous reprenons le même modèle pour accompagner et documenter des projets scolaires qui font éclater les frontières de la classe. Cette nécessité de réfléchir à de nouveaux espaces repose sur deux constats : les jeunes sont motivés à l’idée de présenter leurs œuvres au grand public et leurs œuvres exigent des installations spacieuses et pérennes que peuvent offrir les institutions culturelles pour les consulter avec des appareils technologiques complexes à manipuler et parfois imposants.
Reconnaissance
Les autrices tiennent à remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, l’organisme subventionnaire qui a rendu cette recherche possible, ainsi que tous les milieux participants, tout particulièrement les enseignants et leurs élèves.
Les rédacteurs en chef invités remercient le Conseil de recherches en sciences humaines pour l’aide financière accordée.
Intérêts concurrents
Les autrices déclarent l’absence de conflit d’intérêts.
Les contributions de l’auteur
Contributions des autrices
Noms et initiales des autrices:
Nathalie Lacelle – nl
Moniques Richard – mr
Virginie Martel – vm
Amélie Vallières – av
Marie-Pierre Labrie – mpl
Les autrices sont classées par ordre décroissant selon l’importance de la contribution.
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L’auteur correspondant est :
Conceptualisation : nl, mr, vm
Enquête : nl, mr, vm, av, mpl
Traitement des données : av, mpl
Analyse formelle : nl, mr, vm
Rédaction – Préparation du brouillon original : nl, av, mr, mpl
Rédaction – Révision et édition : nl, mr, vm
Visualisation : nl, mr
Contribution des éditeurs
Rédacteurs en chef invités
Marie-Claude Larouche, professeure titulaire, Département des sciences de l’éducation, co-directrice depuis 2018 du Laboratoire de recherche sur les publics de la culture (lrpc.ca), Université du Québec à Trois-Rivières, Canada.
Hervé Guay, professeure titulaire et directeur, Département de lettres et communication sociale, co-directeur de 2015 à 2021 du Laboratoire de recherche sur les publics de la culture (lrpc.ca), Université du Québec à Trois-Rivières, Canada.
Rédactrice-en-chef
Émilie Rouillard-Beauchesne, The Journal Incubator, Université de Montréal, Canada
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