Editor’s Note/Note de l’éditeur
The following article is part of Computer Modelling and Simulation for Literary–Historical Research: VESPACE and Social Physics, a special issue that details the rationales, objectives, and strategies for authoring a playable experience of eighteenth-century public sociability in the context of the VESPACE project’s goals to construct an immersive and interactive virtual reality model of an eighteenth-century Paris Fair theatre. The co-authored introductory article (Jeffrey M. Leichman and Ben Samuel) includes an in-depth discussion of the history, ambitions, and methodologies of the project. The second part of the special issue features separate contributions from two participants (Paul François and Daniel DeKerlegand) in the May 2020 social physics authoring workshop who provide technical insight into the affordances and challenges of this experience. The third part features four additional short essays that offer informed perspectives from emerging literary scholars who participated in the authoring workshop (Louise Moulin, Chiara Azzaretti, Julien Le Goff, and Charlee M. Bezilla), drawing on individual research pursuits to outline the disciplinary stakes of authoring computer simulation rules in the framework of the VESPACE project, while also looking ahead to potential futures for this kind of experimental work in literary-historical digital humanities.
L’article suivant fait partie de Modélisation et simulation informatiques pour la recherche en histoire littéraire : VESPACE et la physique sociale, un numéro spécial qui détaille les justifications, les objectifs et les stratégies pour rédiger une expérience jouable de la sociabilité publique du XVIIIe siècle dans le contexte du projet VESPACE, qui vise à construire un modèle immersif et interactif e réalité virtuelle d’un théâtre de Foire parisien du XVIIIe siècle. L’article d’introduction (co-écrit par Jeffrey M. Leichman et Ben Samuel) comprend une discussion approfondie de l’histoire, des ambitions et des méthodologies du projet. La deuxième partie du numéro spécial présente les contributions respectives de deux participants à l’atelier expérimental sur le codage en physique sociale de mai 2020 (Paul François et Daniel DeKerlegand), qui donnent un aperçu technique des moyens et des défis de cette expérience. La troisième partie comporte quatre courts essais, publiés ensemble, qui offrent des points de vue informés de nouveaux spécialistes de la littérature qui ont participé à l’atelier de codage (Louise Moulin, Chiara Azzaretti, Julien Le Goff, and Charlee M. Bezilla), et qui s’appuient sur des recherches individuelles pour définir les enjeux disciplinaires de la rédaction de règles de simulation informatique dans le cadre du projet VESPACE, tout en regardant également vers l’avenir potentiel pour ce type de travail expérimental en humanités numériques historico-littéraires.
Louise Moulin : Du corpus à la base de données littéraires : réflexions à partir du projet VESPACE
Abstract
Le projet VESPACE utilise la réalité virtuelle pour recréer l’espace et l’ambiance d’un théâtre forain du XVIIIe siècle. Le programme repose sur une base de données compilant des interactions sociales identifiées dans la littérature du temps de ce siècle. Cet article interroge sur la méthodologie des phases de sélection, d’interprétation et d’encodage des extraits littéraires à l’origine de la base de données et propose, à la lumière de VESPACE, des pistes de réflexion quant à l’épistémologie des données littéraires.
The VESPACE project uses virtual reality to recreate the space and ambience of an eighteenth-century Fair theatre. The program employs a database that compiles social interactions identified in literature from that century. This article investigates the methodology of the phases of selection, interpretation and coding of literary passages that form the basis of the database and proposes some avenues for reflection around the epistemology of literary data in light of VESPACE.
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Introduction
Recréer l’environnement d’un théâtre de foire du xviiie siècle et permettre à chacun, grâce à l’apport de la réalité virtuelle, de se mêler en personne à la foule : voilà l’ambition du projet Vespace. Son aspect ludique réside dans les interactions possibles entre les joueurs et les personnages de l’interface, dont les comportements, à l’image de l’environnement dans lequel ils évoluent, sont historiquement informés (François et al. 2019). Cette simulation est créée par un système de « physique sociale » utilisant l’intelligence artificielle pour donner l’illusion d’agents doués de profondeur émotionnelle. Le logiciel vise ainsi à reproduire la sociabilité foraine du xviiie siècle en s’appuyant sur un grand nombre d’exemples d’interactions pris dans la littérature du temps, en particulier dans les romans, les manuels de civilité et les mémoires. À partir de ces extraits, le programme propose aux utilisateurs de générer de nouvelles situations à mesure qu’ils explorent le milieu. Le modèle suppose donc d’établir une base de données de normes sociales en détaillant les effets d’interactions de personnages aux caractéristiques variées, de rang, d’âge, de genre, de fortune, mais aussi de caractère, ou même d’humeur. L’objectif de Vespace est double : le projet doit d’une part offrir une nouvelle représentation du monde des spectacles du xviiie siècle, et, d’autre part, sur le plan méthodologique, il vise à questionner les pratiques de recherche en humanités numériques ainsi que les modes d’accès au savoir académique.
Cette contribution voudrait mettre en perspective la phase de création de sa base de données au profit d’autres projets d’humanités numériques. En examinant le travail fourni par une équipe de recherche au cours d’un atelier d’une semaine, qui consistait à sélectionner des extraits littéraires, à les interpréter, et à les encoder de façon à ce qu’ils puissent être restitués par l’interface, elle propose une réflexion sur les défis posés par la recherche interdisciplinaire en humanités numériques, avec une focalisation particulière sur l’épistémologie des bases de données littéraires.
De la littérature aux données littéraires
Pour celui ou celle qui découvrira la version définitive de Vespace, le projet apparaîtra comme une expérience immersive. Sous les traits d’un espion, le joueur choisit d’abord un personnage avec lequel il souhaite interagir. Il sélectionne ensuite parmi plusieurs options une action qu’il désire entreprendre. Il peut ainsi décider, par exemple, d’engager la conversation, de présenter un compliment, de plaisanter, ou de privilégier à l’inverse un registre moqueur ou insultant. Le déroulement de l’interaction lui-même, c’est-à-dire la façon dont une initiative est reçue par un personnage, lui échappe : il dépend d’un ensemble de facteurs allant des caractéristiques socio-économiques ou professionnelles des protagonistes à leurs traits de caractère ou leur humeur respective à l’instant donné, en passant par l’historique de leur relation. Un compliment peut ainsi être accepté et ouvrir de nouvelles perspectives relationnelles entre le joueur et le personnage, tout comme il peut, dans une situation légèrement différente, être refusé et ne susciter que du mépris, si ce n’est causer un scandale. Après les actions, les réactions affectent à leur tour les possibilités d’interactions futures entre les deux protagonistes, en plus d’influencer les relations avec les tiers, témoins de la scène, amis loyaux ou rivaux notables.
La réception des initiatives du joueur est déterminée par un modèle informatique se fondant sur une large base d’exemples tirés de la littérature du xviiie siècle et compilés par l’équipe de recherche. Ce travail supposait dans un premier temps d’identifier les caractéristiques des personnages qui semblaient conditionner le déroulement des actions (par exemple le rang relatif des personnages, facteur incontournable de la sociabilité d’Ancien Régime), ainsi que les actions devant leur être accessibles (la salutation intervient ainsi dans toutes les relations, mais pas la provocation en duel). Plus de cent caractéristiques et autant d’instanciations d’échanges sociaux ont ainsi été identifiées. Dans un deuxième temps, un certain nombre d’exemples à associer à ces actions ont été recherchés dans le corpus littéraire du xviiie siècle afin de disposer pour chacune d’elles d’un panel de réactions possibles à rattacher aux personnages en fonction de leurs caractéristiques propres.
Les opérations liées à la collection de données littéraires sont loin d’être neutres : elles influencent directement le modèle lui-même, et, partant, les résultats présentés par l’interface. C’est pourquoi il est nécessaire d’éclaircir les hypothèses sous-jacentes au modèle, ainsi que certains des nombreux dilemmes témoignant de l’impossibilité de créer une base qui serait objective.
Revenons tout d’abord sur le concept même de donnée littéraire. Dans notre contexte, les données littéraires ne sont pas des données d’ordre quantitatif ou descriptif portant sur la littérature, mais bien des extraits de littérature. Il est toutefois une différence fondamentale entre la littérature et la donnée littéraire : pour être converti en donnée, un extrait littéraire doit être repéré, sélectionné, interprété, puis codé. Le principe de la base de données est en effet de compiler des informations opérationnalisables (Moretti 2013), comparables par l’application de mesures standards — tout ce contre quoi la discipline littéraire se construit, elle qui valorise précisément ce qui y échappe, dans la facture du texte comme dans sa lecture. Créer une base de données littéraires revient à mettre du numérique, du nombre, dans les humanités, c’est-à-dire dans le domaine des lettres. La façon de classer, d’ordonner, d’étiqueter ces données est absolue : un extrait appartient à une catégorie ou non, et un effet est quantifié d’une unique façon. Ainsi, même lorsque l’ordinateur affiche une citation à l’écran, ce qui y est lié et qui participe directement du modèle n’est pas de nature littéraire.
Pour intégrer un modèle, les citations sélectionnées doivent être essentialisées. Leur complexité intrinsèque, ou leur spécificité littéraire, doit être réduite de façon à correspondre à un nombre limité de catégories reconnaissables par l’ordinateur. Par exemple, dans le cas de Vespace, lorsqu’on identifie le passage suivant comme représentatif d’une forme possible d’interaction au xviiie siècle :
Un faux pas que je fis un jour en montant les degrés de l’Opéra, me fit remarquer d’un Cavalier qui s’empressa de me secourir. Le spectacle d’une jolie femme, à qui la douleur arrache des mines, est intéressant ; un service offert par la bienfaisance, où la curiosité change bientôt de motif. Usbech, qui n’avait été que poli, mit de la sensibilité dans son compliment ; je m’en aperçus, et mon cœur en fut flatté. (Treyssac de Vergy 1762, t. 1, s. 1, 72–73)
Il est nécessaire de transcrire la scène en un principe général (volition rule), qui prendrait vraisemblablement une forme de ce type : « si A est homme, flatteur, sensible, bonnes manières, et B est femme, belle ; alors B veut augmenter son appréciation pour A ».
Mais de la littérature à la donnée littéraire, tout n’est pas uniquement question de syntaxe et de vocabulaire. De la sélection du passage à son encodage, toute une grille de lecture est appliquée au texte. Les passages retenus le sont en vertu de la définition antérieure des catégories à représenter, qui résultent d’un choix de l’équipe de recherche. Une fois ces catégories arrêtées, les extraits devant alimenter la base de données découlent encore de choix de genres littéraires, d’auteurs, d’œuvres, puis de passages paraissant pertinents et propres à être encodés. Lorsqu’un extrait paraît répondre à ces critères, enfin, tout un travail d’interprétation précède encore l’encodage. Pour reprendre notre exemple, sachant qu’Émilie, la narratrice, est décrite comme jeune, et qu’Usbech, quelques lignes plus bas, est présenté avec insistance comme un homme de quarante ans particulièrement expérimenté, il s’agit de juger de l’importance de l’âge relatif des deux personnages dans l’action, par opposition à d’autres facteurs (ou en plus d’autres facteurs), parmi lesquels on peut citer la beauté d’Émilie, également présentée dans le texte comme un élément clé, ou l’éloquence d’Usbech, qui influence certainement la dynamique de leurs échanges.
Difficulté supplémentaire, l’encodage d’une situation implique nécessairement sa simplification. Si les catégories étaient multipliées de façon à pouvoir décrire les interactions tout en nuances, en restant le plus fidèle que possible à l’œuvre littéraire, on ne pourrait plus dégager de principes généraux servant le modèle. Dans le cas de Vespace, lorsqu’on connaît, par exemple, la dynamique régnante entre un Parisien et un provincial d’une part, et d’autre part, celle entre une personne dotée d’une bonne physionomie et une autre qui serait crédule, il devient possible d’inférer l’attitude d’un provincial crédule face à un Parisien à la bonne physionomie. C’est ainsi que le système calcule et génère de nouveaux résultats, sans se contenter de reproduire les exemples dont il est instruit (Samuel et al. 2015). Or ceci est impossible lorsque les règles à la base du modèle décrivent des personnages de façon trop précise : si chaque cas est jugé spécifique, aucune règle ne peut être établie. C’est pourquoi les catégories exigent l’abandon de la relativité (par exemple lorsqu’il s’agit de quantifier le charme ou la ruse d’un personnage), de l’unidimensionnalité (en matière de bonnes manières ou de capacité d’adaptation), et, parfois, de degré (de nombreuses variables binaires impliquent de stipuler si un personnage est, dans l’absolu, dévot, ou flatteur). La phase d’interprétation et de codage suppose ainsi de trouver un juste milieu entre la fidélité au texte et la nécessité d’établir des principes généralisables.
Ces difficultés, si elles ont été repérées par la critique, l’ont souvent été dans le cadre de réflexions autour de techniques automatisées de fouilles textuelles (text mining), notamment lorsqu’il s’agit de débattre des failles des lectures distantes (distant reading) (voir par exemple Sculley et Pasanek 2018). On voit pourtant que des critiques similaires peuvent être adressées lorsque la recherche d’extraits et leur interprétation ne sont pas opérées par la machine. Tout bien considéré, les bases de données ne diffèrent pas fondamentalement de l’esprit humain dans leur manière de synthétiser l’information : elles sont simplement capables de stocker et d’ordonner plus de matériel, d’une façon plus systématique et traçable (voir Ducournau et Glinoer 2018; Roussillon et Schuwey 2020). À cet égard, les humanités numériques ne font que rendre saillante une question centrale de la pratique littéraire en général. Pour pallier ce problème, Vespace a misé sur la familiarité de l’équipe avec la littérature du xviiie siècle et sur le travail collectif. La base de données a été compilée par une dizaine de participants — des doctorants encadrés par deux professeurs, étudiant tous la littérature française d’Ancien Régime ou l’informatique — chargés d’identifier les passages pertinents dans le cadre du projet et de les encoder dans le système. Les interprétations et leur transcription faisaient l’objet de discussions en petits groupes, et les exemples jugés les plus ambigus étaient analysés par l’ensemble de l’équipe. Ainsi, sans pour autant devenir objectives, les décisions gouvernant le projet passaient par un processus argumentatif et résultaient d’un consensus.
Assumer l’impossible objectivité des bases de données littéraires
Tout comme la création de données individuelles résulte de choix, leur compilation en une base de données exploitable est régie par des décisions elles aussi nécessairement subjectives. Dans le cas de Vespace, l’établissement d’une base a pour but de proposer une grande quantité d’interactions possibles entre personnages. Pour cela, le programme doit se fonder sur un nombre de règles suffisamment important pour pouvoir générer à partir de celles-ci une multiplicité d’autres situations, et pour que le modèle soit fiable, l’échantillon de règles retenues pour décrire le monde des théâtres forains du xviiie siècle doit en couvrir tous les aspects. Parce que Vespace lie systématiquement une règle à un extrait littéraire, la base de règles construite reflète le contenu des textes retenus. Un défi qui se pose alors est celui du système de représentation qu’est le texte littéraire : en tant qu’objet artistique, il n’est pas destiné à documenter le réel, mais à produire une impression sur ses lecteurs. Il s’agit donc de travailler à partir du corpus littéraire tout en gardant à l’esprit que certains types de situations et d’interactions s’y trouvent amplifiés, tandis que d’autres sont passés sous silence.
Prenons d’abord l’exemple des motifs récurrents au sein d’un ouvrage ou parmi le corpus retenu. Doit-on juger que la situation qu’ils mettent en scène est particulièrement importante ou fréquente, et qu’à ce titre elle mérite de figurer plusieurs fois dans la base au risque d’amplifier, peut-être démesurément, les effets cumulés de leurs principes ? Dans le cadre de Vespace, l’ouvrage de Nougaret intitulé Les Astuces de Paris (1775) illustre bien cette problématique. Ces « anecdotes parisiennes » mettent en scène un provincial de passage à Paris qui ne cesse d’être trompé par des commerçants malintentionnés. Si d’un côté il peut paraître pertinent de relever les différentes conditions d’une ruse réussie (tantôt des qualités d’esprit ou de faciès, en fonction des personnages), le fait de présenter ces multiples principes séparément a pour effet de démultiplier la constante : dans le modèle final, un provincial risque de subir de façon disproportionnée les effets des mauvais tours que chacun lui jouera. Il en va de même des motifs de séduction, qui d’un livre à l’autre présentent un grand nombre de caractéristiques communes, parmi lesquelles le charme et la beauté des protagonistes. L’affinité des personnages, si elle est intégrée plusieurs fois au modèle, peut se transformer en véritable coup de foudre, et se trouver dénaturée. Pour éviter ce type de difficultés, Vespace prévoit deux mécanismes de contrôle. Premièrement, le projet mise encore une fois sur le groupe ; les discussions d’ensemble ainsi que la relecture collective de la base permettent de cibler les règles potentiellement problématiques et de les amender. Deuxièmement, le programme est conçu pour que la quantité de règles codées limite l’influence de chacune prise individuellement.
Le défi opposé, celui des situations sociales absentes du corpus littéraire, se révèle plus problématique. L’implicite est omniprésent en littérature : bien souvent, par exemple, la focalisation des textes veut que soit décrit l’affect d’un personnage, mais pas celui de son interlocuteur. Que faire des ellipses, c’est-à-dire des situations qui ne sont pas évoquées dans les livres, pour des questions, par exemple, de trivialité ? Si l’on juge fondamental d’associer chaque règle à un extrait littéraire particulier, certains types d’interactions ne pourront pas être intégrés à la base alors qu’ils étaient tout à fait courants ; peut-être même trop pour intéresser la littérature. Encoder l’évidence, ou le bon sens, éloigne d’un idéal de systématisme. Ne pas l’encoder éloigne du vraisemblable. Il est donc des écueils que l’on peut éviter par la discussion et la validation par les pairs ou par le fonctionnement du logiciel, tandis que d’autres subsistent. Face à un tel constat, on peut se demander quelle piste ménage le mieux la scientificité d’un projet. Plus généralement, on peut s’interroger sur les conditions de la fiabilité d’un modèle lorsque la subjectivité et l’interprétation sont inhérentes à la base de données sur laquelle il se fonde. La réponse que Vespace apporte à cette dernière question passe par la transparence de son modèle (Masure 2018), et permet d’envisager des pistes de réflexion applicables à d’autres projets d’humanités numériques.
Numérique et humain : vers une interprétation des modèles
De la transparence du modèle naît la possibilité d’une utilisation critique, solution retenue par Vespace pour être soumis aux mêmes mécanismes de contrôle que les publications académiques de format traditionnel. En tout temps, le chercheur peut accéder à la fois aux règles qui sous-tendent les actions qui se déroulent sous ses yeux ainsi qu’aux citations à l’origine de ces règles. Pouvoir lire les principes à l’œuvre, ainsi que les citations ayant conduit à coder ces principes, lui permet d’évaluer les résultats qu’il obtient.
Vespace va même plus loin en permettant au chercheur d’exclure provisoirement certaines règles du modèle. Le numérique offre en effet l’avantage de pouvoir rejeter une partie des règles du programme sans compromettre l’entier de son fonctionnement. On peut ainsi imaginer un refus d’intégrer au corpus les principes extraits de manuels de civilité, au motif que la version normative du monde qu’ils encouragent pourrait être en décalage avec les normes sociales effectives du xviiie siècle, en particulier dans le contexte d’un théâtre de foire ; à l’inverse, on pourrait choisir d’explorer un monde qui suivrait uniquement leurs préceptes, parce que ceux-ci, au contraire de passages de romans par exemple, décrivent sans ambiguïté les comportements appropriés en société. On pourrait aussi décider de restreindre les sources à une période précise, parce qu’on juge improductive l’hypothèse d’homogénéité des mœurs sur une période d’un siècle, ou simplement, parce qu’on souhaite observer les changements qui surviennent lorsque certains paramètres sont modifiés. De la variation des résultats obtenus découlent alors d’autres observations, qui donnent à leur tour lieu à de nouvelles interrogations. Ce qui se dessine avec l’opportunité d’accéder à ces informations, et a fortiori de les manipuler, c’est donc la possibilité de questionner le modèle lui-même. Reste encore à inviter le chercheur à le faire, par une interface qui s’y prête —comme le prévoit Vespace, dont les sources seront accessibles aux joueurs sans que ceux-ci n’aient à quitter l’espace virtuel du jeu — et plus généralement, par la conscientisation de la place de la subjectivité tout au long de la construction du projet.
En conclusion
Vespace promet de renouveler notre compréhension du monde des spectacles ainsi que de la sociabilité d’Ancien Régime. Mais aussi, et peut-être surtout, le projet souligne les importants enjeux méthodologiques des humanités numériques dans la recherche actuelle. Ce que ces quelques considérations suggèrent, c’est qu’un regard sur la méthodologie doit faire partie intégrante de l’interprétation des résultats. Elles se veulent aussi la preuve que malgré la multiplication des outils numériques, les analyses automatiques ne sont pas près d’exister : d’un bout à l’autre du projet, c’est l’humain qui définit le modèle, qui l’alimente, le paramètre, l’interroge, en interprète les résultats et les évalue. Pour ces raisons, pouvoir questionner les bases de données littéraires apparaît crucial. En effet, s’il est un pan des études littéraires que le numérique a révolutionné, c’est certainement leur appréhension en contexte ou en corpus, par le biais de telles bases. Ainsi, derrière leurs interfaces bien différentes et au-delà des outils spécifiques qu’elles offrent, des plateformes aussi diverses que Molière21 (détaillant les intertextes majeurs des comédies de l’auteur), Théâtre classique (donnant à lire de façon tant « distante » que rapprochée plus de mille pièces de théâtre), Haine du théâtre (regroupant plus de cent cinquante textes concernant les controverses théâtrales) ou encore Naissance de la critique dramatique (présentant des témoignages de réception d’œuvres théâtrales au xviie siècle), pour ne donner que quelques exemples de plateformes destinées comme Vespace à mieux appréhender le contexte historico-littéraire du théâtre d’Ancien Régime, posent toutes les mêmes types de questions de méthodologie.
Déclaration d’intérêt
L’autrice déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts relativement à la rédaction et au contenu de cet article.
Contributions
Éditeur en chef invité de l’édition spéciale
Jeffrey M. Leichman, Louisiana State University, USA
Éditrice de section
Christa Avram, The Journal Incubator, Université de Lethbridge, Canada
Rédacteur
Virgil Grandfield, The Journal Incubator, Université de Lethbridge, Canada
Bibliographie
Ducournau, Claire, et Anthony Glinoer. 2018. « Arpenter la vie littéraire/Surveying Literary Life ». Bien symboliques/Symbolic Goods 2. DOI: http://doi.org/10.4000/bssg.207.
François, Paul, Florent Laroche, Françoise Rubellin, et Jeffrey Leichman. 2019. « A Methodology for Reverse Architecture: Modelling Space and Use ». Procedia CIRP 84: 106–111. DOI: http://doi.org/10.1016/j.procir.2019.03.253.
Masure, Anthony. 2018. « Vers des humanités numériques ‘critiques ». AOC (Analyse Opinion Critique), 5 juillet. Consulté le 13 décembre 2022. https://aoc.media/analyse/2018/07/05/vers-humanites-numeriques-critiques/.
Moretti, Franco. 2013. « ‘Operationalizing’: or, The Function of Measurement in Modern Literary Theory ». Pamphlets of the Stanford Literary Lab, n°6. Consulté le 13 décembre 2022. https://litlab.stanford.edu/LiteraryLabPamphlet6.pdf.
Nougaret, Pierre-Jen-Baptiste. 1775. Les Astuces de Paris. Anecdotes parisiennes. Paris: Cailleau.
Roussillon, Marine, et Christophe Schuwey. 2020. « Bases de données et histoire des spectacles: Le temps d’un bilan ? » Revue d’historiographie du théâtre 5. Consulté le 13 décembre 2022. https://sht.asso.fr/bases-de-donnees-et-histoire-des-spectacles-le-temps-dun-bilan/.
Samuel, Ben, Aaron A. Reed, Paul Maddaloni, Michael Mateas, et Noah Wardrip-Fruin. 2015. « The Ensemble Engine: Next-Generation Social Physics ». Dans Proceedings of the Tenth International Conference on the Foundations of Digital Games (FDG 2015), Monterey, California, June 22–25. Consulté le 13 décembre 2022. http://www.fdg2015.org/papers/fdg2015_paper_07.pdf.
Sculley, D, et Bradley M. Pasanek. 2018. « Meaning and Mining: The Implicit Assumptions in Data Mining for the Humanities ». Literary and Linguistic Computing 23(4): 409–424. DOI: http://doi.org/10.1093/llc/fqn019.
Treyssac de Vergy, Pierre-Henri. 1762. Les Usages. Consulté le 13 décembre 2022. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k318332r.
Chiara Azzaretti: Finding Human Passion in a Digital Humanities Project
Abstract
For some literary scholars, the digital humanities can seem like unfamiliar and even intimidating territory. This article is a firsthand account by a newcomer to the field who contributed to the VESPACE social physics project in the summer of 2020. Through writing rules of video game character behaviour based on eighteenth-century texts, the author gained a new understanding of the potential for digital initiatives to not only deepen “traditional” methods of textual analysis, but to create exciting collaborative environments and projects.
Pour certains spécialistes de la littérature, les humanités numériques peuvent paraître comme un territoire inconnu et même intimidant. Cet article est un rapport de première main d’une nouvelle venue qui a contribué au projet de physique sociale de VESPACE en été 2020. En écrivant des règles de comportement des personnages de jeux vidéo basées sur des textes du XVIIIe siècle, l’auteure a acquis une nouvelle compréhension du potentiel des initiatives numériques pour non seulement approfondir les méthodes « traditionnelles » d’analyse textuelle, mais aussi pour créer des environnements et des projets collaboratifs passionnants.
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The Abbé Prévost’s 1731 novel Manon Lescaut is a story propelled by the mechanics of passion. Within the first few pages, the protagonist, the Chevalier des Grieux, is swept away by his love for the beautiful, impulsive young woman he meets by chance. This passion—as well as Manon’s passionate pursuit of diversion and luxury—are the cause of all his subsequent triumphs and misadventures. Seventeenth- and eighteenth-century thinkers were not united on the question of how the passions should be managed, but careful moderation was essential to the widespread ideal of the “honnête homme,” described in the entry “Philosophe” in Diderot and d’Alembert’s Encyclopédie as the mode of living that accomplishes the most personal and societal good. The “honnête homme” is not devoid of passions, but chooses not to give in to them: “[il] agit en tout par raison, et qui joint à un esprit de réflexion et de justesse, les moeurs et les qualités sociables” (Du Marsais 1765). In contrast to this ideal (and to the constant dismay of his family and his virtuous friend Tiberge), Manon Lescaut’s Chevalier des Grieux ignores reason in favour of short-term and frequently selfish pleasures. However, he does not view the often-disastrous results of these choices as being entirely his fault. In his view, the passions are internal forces as inexorable as the force of divine Providence, and often much more powerful. He claims that it should come as no surprise that human resolutions change frequently, since they are at the mercy of passions: “Une passion les fait naître, une autre passion peut les détruire…. S’il est vrai que les secours célestes sont à tout moment d’une force égale à celle des passions, qu’on m’explique donc par quel funeste ascendant on se trouve emporté tout d’un coup loin de son devoir, sans se trouver capable de la moindre résistance et sans ressentir le moindre remords” (Prévost [1731] 2012, 78).
The concept of “passion” is equally essential to the world of academia in the twenty-first century, although the meaning has clearly shifted from Prévost’s time. Instead of striving to master our passions, current-day scholars are told to follow where they lead. In any academic field, passion is what is supposed to guide our research and writing, what we attempt to transmit to our students, and what compensates for disadvantages of the profession—although, as Michael J. Stebleton argues, this single-minded focus on passion may “ultimately do a disservice to many students” in all career fields by glossing over the obstacles and inequalities that often stand in the way of success (Stebleton 2019, 163). Despite the frustrations of academic work, it is not hard for me to find passion in my own studies. I analyze dietary rules for women in eighteenth-century France, a time when scientific and moral debates surrounding health were just as complex and impossible to resolve as they remain in the twenty-first century. I am passionately interested in finding where ideas about gender fit into eighteenth-century conceptions of food and the body, as well as in showing the continued relevance of eighteenth-century thought to the current moment. However, I would never have applied the same words to my impressions of digital humanities projects. At best, I tended to view digital humanities initiatives as a means to an end and assumed that all this gathering and interpreting of information would eventually be used in the type of “traditional” scholarship already familiar to me. At worst, they seemed to me to be a soulless and second-rate substitution for “real” academic writing, research, and interaction: as Keith Michael Baker admits in his preface to Digitizing Enlightenment, the image of digital humanities as the “philistine feeding of lumpen, ill-considered data into mindless machines” is unfortunately widespread (Baker 2020, xvii).
Despite personally having very little familiarity with video games, I was most interested in the potential pedagogical applications of a virtual reality game that could render eighteenth-century sources more accessible to twenty-first-century students. It wasn’t until graduate school that I felt fully able to appreciate the humour and humanity of eighteenth-century French texts, and I had seen even linguistically advanced undergraduates in my seminar classes react to texts like Manon Lescaut—an action-packed story that includes love, murder, and several hairpin reversals of fortune—with indifference and boredom. Participating in the VESPACE workshop changed my whole concept of what a digital humanities project can be, and it is my hope that in sharing some of my experience translating the Chevalier des Grieux’s passions into digital form, I can encourage other researchers who may share my technophobic tendencies to open their minds to the creative possibilities of similar initiatives. However, I was also surprised at the way the process of working on Manon Lescaut in the medium of video game rule-authoring allowed me to approach a familiar text with rigour but also with newfound curiosity.
The transformation of my understanding of technologically assisted collaboration started with the fact that the workshop itself had to be conducted fully online. I had been worried that hours of daily meetings with people I had never met face-to-face might feel like an exercise in endurance, or that my total ignorance of coding or even basic video game conventions would be problematic. Instead, our first task of developing a schema on which we could base our volition rules immediately put me at ease. Although at this still-early stage of the global pandemic the virtual format felt strange, the questions that surfaced within the first half-hour of work were familiar, if completely impossible to answer definitively. In order to create the structure of traits and attributes that would eventually determine our characters’ relations to each other, we had to decide based on the variety of texts we had prepared which elements defined the eighteenth century in France as we understood it. At the same time, we recognized that this created space, cobbled together from literary as well as historical sources, was an interpretation rather than a recreation of a complex period, and this sense of creation rather than “faithful” adaptation of the source materials persisted throughout the experience.
The world of the Fair theatre was a cross-section of many social groups, and many of our early debates concerned issues of class signifiers. Some of these questions were easy to resolve through the creation of multiple categories of traits and attributes—for example, we determined that certain visible signifiers of social standing (well-dressed, en livrée, wearing a sword, etc.) and profession should be distinct from personality-based qualities like charisma, curiosity, or intelligence. In this way, we hoped to account for future characters’ responses to certain social cues and markers of status while still acknowledging that many of the characters and situations in the texts we had prepared were interesting because they did not correspond with societal expectations. For my own sake, I was concerned with making sure the schema would allow for a noble character like the Chevalier des Grieux to behave in the ways that disappoint his noble family throughout the novel. Other members of my group were equally committed to the representation of their “own” characters or scenes (for example, we created the trait “child” to make sure rules based on young Jean-Jacques Rousseau from his Confessions could be written) and this emotional engagement was the fuel for what I had expected to be a dry, quantitative task.
Complex and less concrete elements in the schema were much more difficult to agree upon, and incorporating them revealed both the constraints and the possibilities of thinking within the Ensemble authoring system. For example, my group was very concerned with the issue of theatre etiquette but baffled by the question of how the intricate rules of eighteenth-century public conduct could be summed up by the kind of one-word terms that comprised the schema. How could we possibly define “etiquette” as a category if a behaviour defined as rude for a higher social class—for instance, booing or cheering during the play—was perfectly acceptable and even expected for characters of a lower social standing? We eventually resolved this issue through condensing all theatre manners into the wider term “appropriate behaviour,” a deceptively simple solution that relied on the interaction between our own knowledge bases and the social physics model. The creation of the generic “appropriate behaviour” trait highlighted the fact that what we were doing was not recreating fully formed characters and scenes from eighteenth-century texts, but instead defining the parameters of interactions that would only make sense in relation to one another. The authoring tool would not “know” that a higher-class character valued decorum, or that a servant reacted negatively to rudeness, but “appropriate behaviour” would have different connotations for us as rule-writers depending on the presence of qualities like wealth, age, social status, and politeness. Even at this early stage, we began to be excited by the endless possibilities of combining traits and attributes into recognizable eighteenth-century character types.
The bilingual nature of our discussions added a level of complexity to our task, but these questions were also familiar to me as a researcher working on French texts in the English-speaking sphere. This was certainly not the first time I had grappled with conveying the eighteenth-century connotations of the word “sensibilité” (a concept that encompasses a wide range of both physical and emotional reactivity) into English and found the easiest available translation of “sensitivity” somewhat misleading. In the collaborative setting of VESPACE schema writing, these translation questions suddenly became not only concrete and urgent, but also playful and free from the established conventions of academic writing. Sometimes our collaborative solution was to embrace the untranslatability of certain terms: for example, traits from our session include the French “bonne physionomie,” a phrase whose specific usage in many of our texts designated good looks corresponding with a trustworthy moral character. Similarly, “sensibility/sensibilité” appears as a dual term in both working languages in the authoring tool. At other times, we arrived at moments of joy and discovery when we collectively agreed upon an ideal term, as when we were thrilled to discover that the English “gobsmacked” could work in our setting for a variety of French terms from “bouleversé” to “bouche bée.”
To an extent, our passionate arguments in favour of certain terms were futile: on some level we all knew that the Ensemble authoring tool viewed all of our carefully chosen French and English terms simply as placeholders, and that nuanced dynamics within the game would come from the volume of rules that we would later write. However, in deciding which elements needed to be included in our schema, we had the opportunity to build a shared concept of the eighteenth century based on our respective texts and research. We were preparing ourselves to write rules within a collaboratively created world that was already taking on life for us within the somewhat sterile confines of the authoring tool, and although we may have been inefficient as programmers, as humanists these discussions did not feel like a waste of time any more than meticulously crafting a written argument might. After hours of collaborative work, the end result was a schema that felt satisfyingly complete, even though it was as impossible to perfect (and as open to revision) as any essay or translation.
The same spirit of collaboration and experimentation was present in the next step, rule-writing, during which we attempted to incorporate these carefully chosen elements into logical rules of volition. The word “interdisciplinary” is overused to the point of being a cliché, but rule-writing was a truly interdisciplinary process in the fact that the historical and technological sides of the project were equally essential to its success. Each rule was a shared act of creation that required effective communication on both sides: the Ensemble tool had to be usable by historians and literary analysts with no programming experience, and the citation-based rules needed to be concise and logically sound. There was also a shared sense of purpose in puzzling out difficult concepts like credibility relationships that resulted in real camaraderie and made me rethink the usual opposition between disciplines. Rather than one side viewing the other as subservient to its greater purpose, we were constantly aware that the game depended on effective interaction between the Ensemble authoring system structure and the quality of the literary and historical text-based rules.
The process of writing rules was also truly interdisciplinary in the fact that it involved simultaneously thinking as literary analysts and programmers. Graduate students in the humanities are used to defining our terms and structuring arguments, but we are also accustomed to our audience having a shared knowledge base and being able to make inferences. This was not the case when writing rules, as the authoring tool could only function using the information it was given, but through this computational mode of thinking I also became very aware of the value of my literary background. Manon Lescaut is narrated from Des Grieux’s limited point of view and is full of characters who say one thing and do another. Therefore, deciding how interactions could be extrapolated into rules required synthesizing content and context and could not have been accomplished by taking all conversations between characters at face value. The specificity rule-writing required was sometimes tedious—for example, if I wrote several rules for a young, charming, and beautiful character based on Manon, the authoring tool would need to be specifically told each time that she was female—but it also forced me to question which aspects of a passage were truly important to the desired volition outcome, as well as which moments were crucial enough to warrant a trigger rule. Should the Chevalier’s passionate reaction to Manon’s infidelity serve as the basis of a rule that would end the relationship status of two characters corresponding to their traits and attributes? Or should the fact that they are quickly reunited mean that the result of this interaction would be better represented as a one-sided change in affinity? There were no definitive answers to questions like these, but through this process of negotiation I began to see the Ensemble system as a tool for exploring the text rather than an impediment to communicating its full content.
After the initial unfamiliarity passed, this kind of thinking became unexpectedly natural, and parsing a quotation from an eighteenth-century text in order to extract rules of behaviour felt like a new form of the traditional French explication de texte, a formal process by which each mechanical and stylistic element of a passage is analyzed in order to extract the larger meaning. A single brief passage—for instance, a scene in which the Chevalier underpays a servant who then demands a larger sum—could contain a surprising number of volition rules. As a rule-writer, I could determine that a rich noble who is not generous lowers his credibility with his servants, but also that servants in general dislike masters who are stingy, that inappropriate behaviour decreases affinity between people of different social classes, or that a lack of generosity does not lead to an allied relationship.
The opportunity to write rules using a single eighteenth-century text encouraged me to engage in meticulous close reading, since nearly every sentence could potentially result in a useful rule. My prejudiced view of digital humanities initiatives and the video game medium had led me to believe that converting a literary text to video game form would consist of reducing the human complexity of the characters and their society to a series of dry, logical interactions, but this fear could not have been further away from my actual experience of writing rules from Manon Lescaut. Although the authoring tool did force me into a new way of thinking through each change in character volition, I found that writing rules based on the Chevalier des Grieux and his fellow characters only served to engage me more deeply than ever in the human dimension of the text. The most irrational and badly considered actions were a rich source of volition rules, and refining these rules to reflect the full complexity of the source material was as enjoyable as it was labour-intensive. For example, a rule based on the famous “coup de foudre” scene in which the Chevalier first falls helplessly in love with Manon results in dramatically increased affinity between two characters but requires multiple conditions in order to take effect: a male noble with high sensibilité must encounter a female character who is young, beautiful, and poor, with astronomically high charm and charisma. Even though I had no way of knowing if this scenario would ever occur in a given play-through of the game, there was something delightful in realizing that I could be the architect of these ill-fated passions.
I was not the only one who seemed to feel this excitement: even though rule-writing could be repetitive and somewhat onerous, our regular group check-ins were as much occasions to celebrate innovative or humorous uses of passages as they were forums to work through logical problems. I knew that the majority of this work would be totally invisible to any future game players, but just as we had dedicated ourselves to finding terms within the schema that corresponded to our vision of the eighteenth century, we had collectively committed to using our texts to their fullest extent, and each effective rule was a cause for minor celebration. The fact that a test run of the system (the only one conducted during the week of the formal workshop) encountered technical difficulties did nothing to dampen our enthusiasm for the work we had already accomplished, and it suggested that the process of working on these texts within Ensemble might be just as valuable to us as researchers as any eventual product. In my ignorance about video games, I had expected to find the VESPACE project to consist of simplifying eighteenth-century texts in order to make them more accessible to students. Instead, what I found was a computational mode of thinking that engendered a truly collaborative interdisciplinary space. There was plenty of reason involved in the process of transforming eighteenth-century texts into logical rules, but plenty of passion too—something I had never expected to encounter in the digital humanities, but something I am eager to pursue again.
Competing interests
The author has no competing interests to declare.
Contributions
Special Guest Issue Editor
Jeffrey M. Leichman, Louisiana State University, USA
Copy and Layout Editor
Christa Avram, The Journal Incubator, University of Lethbridge, Canada
References
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Du Marsais, César Chesneau. 1765. “Philosophe.” In Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, etc., edited by Denis Diderot and Jean le Rond d’Alembert. In ARTFL Encyclopédie Project (Autumn 2022 Edition), edited by Robert Morrissey and Glenn Roe. Chicago: University of Chicago. Accessed January 2, 2023. https://artflsrv04.uchicago.edu/philologic4.7/encyclopedie0922/navigate/12/2064.
Prévost, Abbé. (1731) 2012. Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut. Edited by Jean Sgard. Reprint. Paris: Flammarion.
Stebleton, Michael J. 2019. “Moving Beyond Passion: Why ‘Do What You Love’ Advice for College Students Needs Reexamination.” Journal of College and Character 20(2): 163–171. DOI: http://doi.org/10.1080/2194587X.2019.1591289.
Julien Le Goff : Une expérience d’exploitation pratique de l’anecdote dramatique en physique sociale
Abstract
L’exploitation de l’anecdote dramatique en dehors des champs disciplinaires de la littérature et de l’histoire théâtrale est une première. Le présent article se propose de confronter les méthodologies de recherche en sciences humaines sur un objet d’étude récent, le récit anecdotique, au protocole expérimental en physique sociale, afin d’apprécier la pertinence de l’usage de cette source, aux différentes étapes du travail d’exploitation. Il en résulte que le récit anecdotique est une source efficace pour modéliser des échanges sociaux entre plusieurs personnages, les spectateurs, en l’occurrence, d’un théâtre virtuel. De même cette expérience ouvre-t-elle la voie à de nouvelles pistes de réflexion pour les chercheurs en sciences humaines.
The use of dramatic anecdote outside the disciplinary fields of literature and theatrical history is a first. This article aims to compare research methodologies in the humanities on a recent object of study, the anecdotal narrative, with an experimental protocol in social physics, in order to assess the relevance of the use of this source at various stages of the working process. As a result, the anecdotal narrative is shown to be an effective source for modeling social exchanges between characters, in this case the spectators of a virtual theatre. This experiment also opens up new avenues for reflection for researchers in the humanities.
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En préparation de l’atelier de physique sociale VESPACE, nous avons travaillé sur une source commune : les Anecdotes dramatiques de La Porte et Clément. Ce recueil paraît en 1775 au moment où l’anecdote suscite un engouement éditorial sans précédent. L’ouvrage contient des informations variées sur les pièces jouées (titre, auteur, date, lieu de représentation, résumé, etc.) et — comme son titre l’annonce — on y trouve de nombreuses anecdotes. Les lecteurs de l’époque sont alors particulièrement friands de ces brefs récits dont le contenu prête souvent à rire. Le récit anecdotique a pour intérêt majeur de fournir des renseignements sur les relations entre les différents actants d’une soirée théâtrale, parmi lesquels le spectateur occupe une place centrale. À titre d’exemple, on peut citer cette anecdote du recueil de La Porte et Clément, à propos de la représentation d’une pièce de Fleury, Olivette, juge des Enfers, au cours de laquelle le public réagit à la maladresse d’une comédienne :
Il y avait dans cette pièce un couplet qui finissait par ce refrain : « Un petit moment plus tard,/Si ma mère fut venue,/J’étais, j’étais … perdue ». Une jeune actrice, fort jolie, qui chantait ce couplet, avait coutume aux répétitions de substituer une plaisanterie au mot perdue, un peu grenadière, dont l’énergie lui plaisait fort. La force de l’habitude lui fit prononcer ce malheureux mot à une représentation devant une assemblée très nombreuse. Ce fut un coup de théâtre général : plusieurs dames sortirent précipitamment de leurs loges, d’autres restèrent, parce que le public polisson criait bis. (La Porte et Clément [1775] 1971, t. II, 18)
Avant de me mettre en quête d’anecdotes dramatiques utiles pour l’atelier, j’avais déjà travaillé sur le recueil de La Porte et Clément. Il fut en effet la source principale de mon mémoire de Master 1 consacré aux anecdotes théâtrales sur la scène foraine (Le Goff 2017).1 Je me suis par la suite intéressé au compliment, une pratique dramatique ignorée jusqu’alors des études théâtrales.2 À la veille de l’atelier, j’avais donc consacré l’essentiel de mes recherches à des objets d’étude qui, quoique marginaux, se révèlent fort instructifs dès lors qu’on s’interroge sur les conditions de représentation au siècle des Lumières.
Depuis septembre 2020, je mène un projet doctoral sur les publics de la Comédie-Française, du Théâtre-Italien et des Foires Saint-Germain et Saint-Laurent au xviiie siècle (Le Goff en cours). J’enquête sur l’identité des spectateurs (leur âge, leur genre, leur catégorie socio-professionnelle) ; j’analyse leurs comportements individuels et collectifs ; j’étudie leur répartition et circulation dans la salle de spectacle. Mon objectif est de comprendre ce que signifie être un spectateur ou une spectatrice dans le Paris du xviiie siècle. Cette période au cours de laquelle naît l’opinion publique est particulièrement propice à cette enquête ; le théâtre est l’un des premiers endroits démocratiques où des débats publics émergent. Dans le cadre de mon étude, je croise de nombreuses sources : fictionnelles (comédies en un acte, parodies, prologues) et non fictionnelles (mémoires, correspondances, recueils d’anecdotes, registres des comptes, etc.).
L’une des principales ambitions de ma thèse est de participer à une reconstitution d’une histoire quotidienne des spectacles. Or, la prise en compte de cette réalité socio-historique est précisément au cœur du projet VESPACE qui se donne pour but, sur le long terme, de proposer à ses futurs usagers une expérience immersive multisensorielle dans un théâtre de la Foire Saint-Germain au xviiie siècle. En ce sens, l’objectif de mes recherches est intrinsèquement lié à l’ambition que se donne VESPACE : reconstituer l’expérience vécue et partagée par un spectateur du siècle des Lumières. Aussi je voudrais que les informations recueillies et analysées au fil de mes recherches participent à une amélioration des connaissances sur les manifestations des publics parisiens — particulièrement turbulents au XVIIIe siècle ! — et, plus généralement, sur la réalité matérielle des spectacles, indispensables pour mener à bien ce type de projet collaboratif.
Au cours de l’atelier, j’ai découvert dans la méthode, encore expérimentale, de la physique sociale une manière innovante et stimulante d’exploiter des textes fictionnels dont le domaine d’étude se restreint traditionnellement aux sciences humaines. Notre premier travail a en effet consisté à sélectionner, dans des sources diverses des citations sur lesquelles s’appuyer pour créer des règles qui modélisent des échanges sociaux entre plusieurs personnages, transposables, par la suite, dans l’espace du théâtre.
Le recueil d’anecdotes de La Porte et Clément recèle de précieuses informations sur les interactions dans la salle et l’émergence de la « voix du public » qui, au fil du siècle, affirme progressivement son goût (expression empruntée à Marchand et Nancy 2013). En croisant mes recherches sur le micro-récit anecdotique en littérature française avec le protocole expérimenté au cours de cette semaine d’atelier, j’aimerais proposer une réflexion méthodologique sur l’usage de cette source, et tenter d’apprécier la pertinence de son exploitation en physique sociale, aux différentes étapes de notre travail commun. Enfin, j’élargirai mon propos sur les nouvelles perspectives offertes par cette méthode expérimentale pour mes propres recherches actuelles sur les spectateurs.
Les Anecdotes dramatiques de La Porte et Clément : présentation de l’objet d’étude et intérêts pour une expérience de physique sociale
Le recueil de La Porte et Clément paraît à un moment où l’anecdote, et plus généralement les ouvrages de compilation, sont en vogue. Les récits anecdotiques, dans le goût du public, connaissent un succès populaire sans précédent.
Somme de travail conséquente, l’ouvrage de La Porte et Clément constitue l’une des principales sources utilisées dans les recueils postérieurs, en témoigne la reprise à l’identique de plusieurs anecdotes d’un ouvrage à l’autre. En ce qui concerne la composition du recueil, on observe que les anecdotes sont éparpillées au milieu d’informations variées sur la pièce et sa représentation. Le contenu des Anecdotes dramatiques s’organise en plusieurs notices — avec des entrées par pièce, pour les deux premiers tomes, ou par auteur et acteur, pour le dernier — organisées dans l’ordre alphabétique. Ce choix de classification, facilitant le repérage dans l’œuvre, est adopté par d’autres auteurs, notamment par les frères Parfaict pour leur Dictionnaire des théâtres de Paris. Remarquons, par ailleurs, que le récit anecdotique, objet pourtant riche de sens à plusieurs titres — historique, littéraire ou encore socio-culturel — est encore rarement étudié, y compris en sciences humaines.
Choisir l’anecdote dramatique comme l’une des sources à exploiter pour un travail de physique sociale, et plus spécifiquement comme matière textuelle à partir de laquelle créer des règles pour la modélisation d’interactions au sein d’un public virtuel, présente plusieurs intérêts. Certains de ces récits ont d’abord l’avantage de représenter des échanges sociaux entre spectateurs ou d’autres acteurs, au sens large, de la représentation. Autres avantages, la brièveté et l’indépendance narrative de l’anecdote, ont facilité son repérage et son interprétation dans le cadre de notre travail. La sélection de citations pertinentes dans d’autres ouvrages, romanesques notamment, a pu s’avérer plus complexe, car la prise en considération de données extérieures à la citation sélectionnée est souvent nécessaire pour interpréter avec exactitude le caractère d’un personnage et la situation sociale dans laquelle il se trouve. Enfin, dernier intérêt majeur, la variété et l’originalité de ces récits se prêtent à l’écriture de règles d’interaction inventives, qui contribueront, indirectement, à la diversité globale des échanges sociaux potentiels dans la simulation interactive.
Exploitation du récit anecdotique aux différentes étapes du protocole expérimental
Extraction de la citation : critères de sélection
La méthode de la physique sociale expérimentée au cours de l’atelier, reposant sur l’extraction d’un matériau à encoder, nécessite une reconsidération du statut de la source fictionnelle. J’avais jusqu’alors appréhendé le récit anecdotique soit comme un objet d’étude contribuant à l’histoire quotidienne des spectacles, soit comme un texte littéraire à part entière, dont la théâtralité et les effets d’écriture pouvaient donner lieu à des analyses stylistiques probantes. La théâtralité et les effets de styles caractéristiques d’un certain nombre de ces récits nous incitent à considérer l’anecdote comme un genre littéraire à part entière. Or, si l’interprétation de la citation extraite de la source est toujours nécessaire, c’est l’écriture de la règle, par encodage, qui conditionne la pertinence de sa sélection. Ainsi notre premier travail a-t-il consisté en un repérage de fragments textuels représentant des situations d’échanges sociaux pour créer des règles de deux types : volitions rules et triggers rules. Les premières reposent sur un ensemble de conditions nécessaires pour qu’un personnage ait le désir de s’engager dans une action ; les secondes traduisent une transformation de l’état social, du caractère, de l’affect, ou encore de la situation d’origine du personnage.
Il n’existe pas de citation qui se prête parfaitement à la transposition du contenu textuel en règle informatisée. Cependant, à la suite de nos échanges lors de l’atelier, j’ai pu élaborer quatre critères empiriques qui ont orienté nos recherches :
La présence d’un échange, physique et/ou verbal, entre au moins deux personnages3 est nécessaire.
Chaque personnage doit être individualisé et ne pas se confondre dans un collectif, déterminé ou non, par la narration.
La mention, explicite ou implicite, de quelques traits de caractère ou attributs permet de définir a minima chaque personnage.4
Il est possible de déterminer le ou les effets produit(s) par cet échange sur au moins l’un des deux personnages pour qualifier une « volonté d’agir » (volition) réciproque (relationship), ou non réciproque (network), éprouvé exclusivement par un personnage envers un autre personnage.5
À ces quatre critères, on pourrait ajouter la longueur de la citation, dont les limites sont souvent moins faciles à définir lorsqu’on travaille sur un roman. Nos choix n’étaient pas limités par ce critère, même s’il était préférable que le matériau cité ne soit pas trop long afin de faciliter son interprétation et, partant, l’écriture de la règle.
Le récit anecdotique répond-il à ces critères ?
Comme nous l’avons vu, la brièveté et l’indépendance formelle sont deux caractéristiques majeures du récit anecdotique. Précisons que, dans le recueil de La Porte et Clément, l’anecdote constitue souvent le seul contenu informationnel de la notice, et n’est pas introduite par un préambule. Elle est donc facilement identifiable et en mesure d’être sélectionnée dans sa totalité comme citation. Cependant, ces deux caractéristiques ont également leurs inconvénients : les personnages du récit sont peu décrits, et ne réapparaissent pas, pour une majorité, dans d’autres anecdotes du recueil. Par conséquent, le manque d’informations qui en résulte peut complexifier l’écriture de la règle. D’un point de vue structurel, le micro-récit anecdotique se définit par trois éléments majeurs : un caractère ponctuel, une singularité évènementielle, et la présence d’une chute (à ce propos, voir Abiven 2012). À ces traits définitoires s’ajoute la distanciation narrative qu’implique la mise en récit. Si ces caractéristiques ne s’opposent pas en elles-mêmes aux critères de sélection précédemment définis, les personnages représentés dans le récit peuvent parfois complexifier l’activité d’exploitation. En effet, de nombreuses anecdotes dramatiques du recueil mettent en scène des personnages de spectateurs, souvent regroupés sous l’entité collective et indéterminée de « public » ou de « parterre ». Certains spectateurs interagissent avec des professionnels du spectacle (entrepreneurs, comédiens, auteurs, musiciens, etc.). Dès lors, si la présence d’un échange (critère 1) est globalement respectée, ce n’est pas toujours le cas de l’individualisation des actants (critère 2). Par ailleurs, le spectateur n’est pas systématiquement caractérisé dans le récit : les traits de caractère relatifs à un individu ne sont donc pas toujours spécifiés (critère 3). En revanche, la chute propre à ce type de texte prend généralement la forme d’une réaction d’un personnage ou d’un groupe en réponse à une parole ou à un comportement individuel surprenant. On peut donner l’exemple du comédien qui, en raison d’un oubli de texte ou d’un lapsus malheureux, s’attire les rires ou sifflets du parterre, et provoque contre son gré l’intervention insolente d’un spectateur. La formation d’une volonté d’agir (critère 4) est donc globalement respectée.
Ceci étant dit, on est en droit de se demander pour quelles raisons la présence collective des spectateurs est particulièrement fréquente dans les récits anecdotiques. L’explication en est simple. En plus d’en être l’un des principaux protagonistes, le public est également la source et le destinataire des récits anecdotiques. Par conséquent, sa représentation au sein du recueil de La Porte et Clément est cruciale. Sa présence va de pair avec une augmentation de sa reconnaissance sociale, politique et économique. Il devient, au xviiie siècle, une véritable « vedette du spectacle » (nous empruntons l’expression à Marchand 2019, 89). Quant à ses interventions récurrentes dans la fiction dramatique, dont rendent compte de nombreuses anecdotes du recueil, elles sanctionnent « les défaillances du protocole dramatique » (Marchand 2019, 94), et présentent le public comme une instance légitime pour juger les pièces représentées — voire même les corriger — concurrençant la critique journalistique et auctoriale. Dès lors, on mesure mieux la raison d’être de cette force collective au sein du recueil.
Remarque sur la construction du schéma
Le schéma définit l’ensemble des conditions disponibles dans le monde du jeu. Il regroupe de nombreux types répartis en différentes catégories, caractérisées par des propriétés spécifiques. Au cours de l’atelier, la création de types s’est en partie appuyée sur l’observation des différents supports retenus pour l’écriture des règles. Ainsi, dans la mesure où bon nombre de récits anecdotiques mettent les professionnels du spectacle en prise avec le public, nous avons créé des types spécifiques pour désigner un musicien, un auteur dramatique, ou encore un spectateur connaisseur (theatre knowledge). D’une manière générale, nous avons toutefois privilégié, pour l’écriture des règles, des ressources textuelles qui ne mettent pas en relation des personnages occupant des fonctions distinctes à l’intérieur du théâtre. En effet, la capacité à représenter des échanges entre la scène et la salle est d’une complexité informatique supérieure à la modélisation d’interactions dans le public uniquement.
Écriture des règles et création d’actions
Pour concevoir les règles, nous avons travaillé sur l’outil numérique Ensemble : un système d’intelligence artificielle spécialement conçu pour modéliser des échanges sociaux. L’écriture de la règle s’effectue en deux temps : il s’agit d’abord de spécifier les prédicats, c’est-à-dire l’ensemble des conditions nécessaires (les types qui caractérisent chaque actant) pour ensuite déterminer leurs effets sur la relation entre les personnages. Dans l’interprétation de la source, la contextualisation est nécessaire à la compréhension de la situation, aux enjeux de l’échange social, et à ses effets, réciproques ou non, sur les personnages impliqués. Or, l’anecdote dramatique se prête particulièrement à ce travail interprétatif dans la mesure où elle n’envisage le théâtre qu’à partir de l’événement, c’est-à-dire selon un ancrage socio-historique de la représentation. L’effet de chute, souvent comique, est un autre atout du récit anecdotique : il est particulièrement utile à la détermination du ou des effets qu’il est nécessaire de spécifier dans l’écriture de l’algorithme. Enfin, l’originalité du récit anecdotique, dont la vraisemblance questionne parfois, n’est en rien un obstacle pour créer des règles. La spécificité de l’anecdote n’est pas contraignante, dans la mesure où il revient aux codeurs d’en transposer la situation pour la rendre généralisable. Durant l’atelier, des récits originaux, dont les effets d’écriture ont été travaillés pour souligner le caractère comique de l’anecdote, ont pu être exploités de manière fructueuse. La distanciation narrative, nécessaire à l’analyse littéraire de ce type de texte, n’a donc pas fait barrière à l’écriture de la règle. Ce récit en donne un bon exemple :
À la répétition générale de cette pièce, Mlle S…, connue sous le nom de ma mie Babichon, se glissa derrière le banc des symphonistes qui étaient rangés sur une ligne dans l’orchestre. Ces musiciens avaient des perruques ; Babichon y entortilla des hameçons qu’elle avait préparés avec des crins imperceptibles. Ces crins se réunissaient à un fil de rappel qui répondait aux troisièmes loges. Babichon y monte, attend qu’on donne le signal pour l’ouverture. Au premier coup d’archet, la toile se lève et les perruques s’envolent toutes en même temps. (La Porte et Clément [1775] 1971, t. I, 371–372)
À partir de ce récit anecdotique, nous avons pu créer une règle d’interaction ou volition rule (voir Figure 1).
Sans aller jusqu’à remettre en cause l’authenticité de cette anecdote, on peut toutefois en souligner la singularité. Sans représenter un inconvénient, elle nous incite à spécifier que l’un des personnages (« someone », qui représente la mie Babichon du récit) est eccentric : il est raisonnable de penser qu’il ne viendrait pas à l’idée de n’importe quel spectateur ou spectatrice de se livrer à une semblable plaisanterie ! Toutefois, on remarque que la règle créée à partir de cette anecdote, est tout à fait plausible dans l’enceinte du théâtre. Elle peut se lire de la façon suivante : Si un premier personnage féminin (someone), blagueur et excentrique, rencontre un membre du personnel théâtral masculin (other), qu’elle a offensé, alors son action sera motivée par sa « volonté de diminuer son rapport d’affinité avec cette première ». L’écriture de l’effet produit sur other se déduit ici de l’action de someone à son encontre. Il n’a pas besoin d’être explicité dans le récit. Compte tenu de sa formulation, il est fort à parier que d’autres citations pourront venir s’appliquer à cette même règle.
Création des actions
Dans la suite de notre travail en atelier, nous nous sommes appuyés sur les règles construites précédemment pour déterminer les actions concrètes des futurs spectateurs du théâtre virtuel (complimenter, insulter, agresser physiquement, etc.). Nous avons donc élaboré de nouvelles règles, prenant en compte les conditions nécessaires à la réalisation de l’action et ses effets dans les échanges entre les personnages. Nous les avons ensuite rattachés aux différents types qui composent les catégories network et relationship : affinity, emulation, credibility, curiosity/attention, rivals, esteem et ally ; en précisant pour chaque type, s’il augmente (up) ou diminue (down). Par exemple, un compliment, dans la mesure où il s’agit le plus souvent d’une action effectuée pour se rapprocher de quelqu’un, est classé dans la rubrique « affinity-up ». Enfin, le logiciel prend également en compte la réaction du destinataire de l’action, qui peut l’accepter ou ne pas l’accepter (accept or reject). La ré-exploitation du récit anecdotique a parfois pu donner lieu à la création de plusieurs règles d’action. C’est le cas, notamment, pour celui-ci :
Une débutante au Théâtre-Français, dont les talents étaient médiocres, et la figure désagréable, remplissait le rôle d’Andromaque, et le remplissait mal. Sa physionomie ne portait point les spectateurs à l’indulgence. Un d’eux murmurait tout bas d’entendre estropier les vers du tendre Racine, dont il était l’admirateur zélé. Cependant, quelque envie qu’il eût d’éclater, il se contraignit ; mais ce ne fut pas pour longtemps ; car dans un endroit où Andromaque dit à Pyrrhus : « Seigneur, que faites-vous ; et que dira la Grèce ? », cet homme, ne pouvant plus se contenir, enfonce son chapeau, se hausse sur ses pieds, et répond vivement et intelligiblement sur une rime très riche : « Que vous êtes, madame, une laide B… ». Il sort en même temps, laisse le parterre applaudir à ce vers impromptu, et l’actrice sort embarrassée de sa figure.6 (La Porte et Clément [1775] 1971, t. I, 76)
La construction de l’anecdote, mettant en prise trois personnages distincts, l’un collectif, à savoir l’ensemble du « parterre », les deux autres individualisés, la comédienne jouant Andromaque et le spectateur particulièrement exacerbé par son jeu, invite à l’élaboration de plusieurs règles d’action. Je présenterai deux de ces créations numériques (voir Figures 2 and 3). La règle d’action n°1, classée dans « emulation-up ACCEPT », encode dans ses effets (partie verte), la réaction du parterre (Responder), soutenant le bon-mot du spectateur (Initiator). Elle indique également la « diminution de l’affinité » de la comédienne (Other) pour le ce spectateur perturbateur. La règle d’action n°2, classée dans « esteem-stop », encode dans ses effets la « diminution de l’affinité » de la comédienne (Responder) et la perte de son estime à l’égard de l’impertinent spectateur (Initiator). Ainsi l’utilisation du récit anecdotique a-t-elle pu s’avérer tout à fait pertinente dans l’élaboration d’une, voire de plusieurs règles.
De nouvelles perspectives pour ma recherche personnelle en sciences humaines
J’espère que les possibilités d’exploitation de la matière anecdotique, si riche d’enseignements en sciences humaines, continueront d’être utilisées en physique sociale. Le protocole expérimenté en atelier a en effet montré que, malgré quelques difficultés inhérentes à la construction et au contenu anecdotiques, son utilisation dans ce type de modélisation pouvait fournir d’intéressants résultats.
Pour clore ma réflexion, j’aimerais évoquer quelques nouvelles perspectives que la physique sociale m’invite à explorer dans mes propres recherches doctorales sur les spectateurs.
D’une part, je n’aurais pas eu l’idée d’étudier des sources fictionnelles extra-dramatiques, à l’instar de romans, pour m’informer sur les interactions des publics parisiens. En effet, dans les comédies de spectateurs, la mise en scène de personnages appartenant au public répond souvent à une stratégie auctoriale (auto-valorisation de la pièce, critique des théâtres concurrents, demande d’indulgence, etc.) qui force le chercheur — désireux d’apprendre sur les spectateur réels — à garder ses distances avec ces créations fictionnelles. Ce phénomène semble moins net pour une source romanesque. Dans le cadre de l’atelier, j’ai lu Le Spectateur nocturne de Rétif de la Bretonne. De nombreux épisodes, représentant des spectateurs et spectatrices au théâtre, particulièrement détaillés, sont susceptibles de nous fournir des renseignements sur les publics des théâtres et leurs échanges sociaux. D’autre part, la prise en compte des interactions dans l’espace public en général – et non exclusivement dans le théâtre – pour créer les règles attire mon attention sur des situations sociales (vols, agressions, incivilités, etc.) qui seraient susceptibles d’avoir lieu dans une salle de spectacles. Les rares témoignages au théâtre de ce type de manifestations publiques me donnent envie de poursuivre mes recherches dans l’espoir d’en découvrir de nouvelles.
Notes
- Les théâtres forains, concurrents parisiens de la Comédie-Française, de la Comédie-Italienne et de l’Académie royale de musique, sont des théâtres intermittents qui ouvrent deux fois par an, de février à avril (Foire Saint-Germain) et de juillet à septembre (Foire Saint-Laurent). [^]
- Le compliment est une pratique théâtrale fréquente sur l’ensemble des théâtres parisiens au XVIIIe siècle. Il consiste en un texte, dont les formes peuvent être variées, prononcé par un ou plusieurs comédiens d’une troupe, pour l’ouverture ou à la clôture des spectacles. Sa fonction était d’inciter les spectateurs à venir nombreux pour assister aux pièces représentées. Le compliment, reposant sur une série de motifs attendus, laisse cependant place à la créativité de dramaturges soucieux d’en renouveler la forme et le contenu topique. (À ce sujet, voir Le Goff 2022.) [^]
- La rédaction des volition rules a parfois pu faire intervenir trois, voire quatre personnages. Au delà, la règle serait devenue très complexe, et n’aurait eu que peu de chances de s’exécuter, tant ses critères auraient été difficiles à satisfaire. [^]
- Tous les traits de caractère dont rendait compte la citation n’ont pas toujours été retranscrits dans l’écriture de la règle, car ils n’avaient pas systématiquement d’effet concret sur la « volonté d’agir » du ou des personnages. [^]
- Pour chacun des sous-ensembles sélectionnés, dans les catégories relationship et network, lors de l’écriture de la règle, il convient de préciser si l’effet augmente ou diminue, et selon quelle intensité. Pour plus d’exactitude, il apparaît donc utile de connaître l’état de la relation entre les personnages, afin d’évaluer, à partir de la citation sélectionnée, l’évolution de la « volonté d’agir » (volition) d’un personnage envers un autre ou entre plusieurs personnages. [^]
- Quelle insulte se cache derrière cette première lettre « B » ? Peut-être bougresse pour la rime « riche » avec « Grèce » ? [^]
Déclaration des intérêts
L’auteur déclare l’absence de conflit d’intérêts.
Contributions
Éditeur en chef invité de l’édition spéciale
Jeffrey M. Leichman, Louisiana State University, USA
Éditrice de section
Christa Avram, The Journal Incubator, Université de Lethbridge, Canada
Rédacteur du texte
Virgil Grandfield, The Journal Incubator, Université de Lethbridge, Canada
Bibliographie
Abiven, Karine. 2012. « La cristallisation narrative comme embrayeur de signification dans le récit anecdotique ». Dans Anecdotes dramatiques de la Renaissance aux Lumières, sous la direction de François Lecercle, Sophie Marchard, et Zoé Schweitzer, 13–26. Paris: Sorbonne Université Presses.
La Porte, Joseph (de), et Jean Marie Bernard Clément. (1775) 1971. Anecdotes dramatiques. Paris: Duchesne. Réédition. Genève : Slatkine.
Le Goff, Julien. 2017. « L’Anecdote dramatique foraine au xviiie siècle précédé de l’édition critique de prologues inédits de Charles-François Pannard ». Thèse de maîtrise. Université de Nantes.
Le Goff, Julien. 2022. « Le “compliment” au public. Enjeux esthétiques et stratégies énonciatives d’une pratique dramatique sur les scènes foraine et italienne (1730–1750) ». Dans European Drama and Performance Studies 18, sous la direction de Sabine Chaouche et Jan Clarke, 367–402. Paris: Classiques Garnier.
Le Goff, Julien. En cours. « Être spectateur dans les théâtres officiels et non officiels au siècle des Lumières : de la réalité matérielle à la représentation littéraire, expérience individuelle et enjeux des réseaux sociaux ». Thèse de doctorat. Nantes Université.
Marchand, Sophie. 2019. « Le Spectateur en vedette dans les anecdotes dramatiques du xviiie siècle ». Dans Faire œuvre d’une réception. Portraits de spectateurs de théâtre (spectacles, textes, films, images) xvie–xxie siècles, sous la direction de Delphine Abrecht, Lise Michel, et Coline Piot, 89–101. Paris: L’Entretemps.
Marchand, Sophie, et Sarah Nancy. 2013. « Les Métamorphoses de la voix du public en France entre xviie et xviiie siècles ». Dans Les Sons du théâtre. Angleterre et France (xvie–xviiie siècles). Eléments d’une histoire de l’écoute, sous la direction de Xavier Bisaro et Bénédicte Louvat-Molozay, 257–270. Rennes: Presses universitaires de Rennes. DOI: http://doi.org/10.4000/books.pur.79917.
Charlee M. Bezilla: Writers, Readers, Coders, Translators? A Reflection on the VESPACE Workshop
Abstract
This brief essay looks through the warped and warping lens of translation, as a process and a metaphor, to reflect on the ways digital projects can transform the work and roles of graduate students and scholars in the humanities—even those who hesitate to lean in to such projects due to a lack of prior training and coding knowledge, and skepticism of their ability to contribute to a digital project. Drawing on Marie Riccoboni’s 1765 novella Histoire d’Ernestine and articles from Diderot and d’Alembert’s Encyclopédie, this essay considers the roles of translation and interpretation in the context of the VESPACE project.
Ce bref essai s’empare de l’optique déformée et déformante de la traduction, compris comme un processus et une métaphore, afin de réfléchir aux façons dont les projets numériques peuvent transformer le travail et les rôles des doctorants et des chercheurs en sciences humaines—y compris ceux qui hésitent à s’adonner à de tels projets en raison d’un manque de formation préalable, de connaissances en codage ou du scepticisme quant à leur capacité à contribuer à un projet numérique. S’inspirant de la nouvelle de 1765 de Marie Riccoboni, Histoire d’Ernestine, et d’articles de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, cet essai examine les rôles de la traduction et de l’interprétation dans le contexte du projet VESPACE.
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As part of the virtual VESPACE social physics workshop in May 2020, I prepared the French writer Marie Riccoboni’s novella Histoire d’Ernestine (1765). We were asked to read our chosen texts with a focus on the social exchanges between characters, and the Histoire d’Ernestine seemed an apt choice, as the text is structured through its characters’ many encounters, misunderstandings, and discussions. Riccoboni’s narrative revolves around the eponymous orphaned German émigrée, a young and beautiful yet modest girl raised by a series of benevolent strangers and trained as an artist. With her first guardian, Madame Dufresnoi, Ernestine lives a good but rather restricted life:
Elle reçut une éducation simple […] mais vivant très retirée, ses idées ne purent s’étendre; elle n’acquit aucune connaissance du monde, et conserva longtemps cette tranquille et dangereuse ignorance des vices, qui, éloignant de notre esprit la crainte et la triste défiance, nous porte à juger des autres d’après nous-mêmes, et nous fait regarder tous les humains comme des créatures disposées à nous chérir et à nous obliger. (Riccoboni 1998, 5)
As Ernestine grows older, the naiveté and innocence cultivated in her sheltered youth, “cette tranquille et dangereuse ignorance,” slowly dissipate as she confronts others who do not always have her best interests at heart or who disguise their true feelings and intents, forcing her to “pénétrer le fond”—to analyze and interpret the perplexing motives and actions of those around her—and to translate them into recognizable forms (Riccoboni 1998, 46). Though initially “elle ne connaissait ni les lois ni les usages” of her milieu (Riccoboni 1998, 20) and she often finds herself in a state of “consternation” (Riccoboni 1998, 30), in the course of the text, Ernestine grows melancholy. She is frustrated by the “vains” and “téméraires jugements” of society (Riccoboni 1998, 41) and its “cruelles bienséances” (Riccoboni 1998, 73), to the point that she “regrettait peut-être sa première simplicité” (Riccoboni 1998, 56).
It is not only Ernestine who faces the often-inscrutable motives of others, however; throughout the text, her friends and caretakers also struggle to understand and interpret each other’s (and at times even their own) intents regarding her, necessitating a series of confrontations and confessions. Though neither Ernestine nor her love interest, the Marquis de Clémengis, are dissimulating—she is described as someone who “ne s’était point accoutumée à résister aux mouvements de son âme” (Riccoboni 1998, 33), and he, in a strikingly parallel formulation, as “peu accoutumé à déguiser les mouvements de son âme” (Riccoboni 1998, 51)—they both repeatedly fall victim to others’ misinterpretations of their words, actions, and motives. The novel concludes with both Ernestine and Clémengis finally declaring their true feelings in front of an audience, which is rewarded by a sudden happy resolution of the marquis’s suit to claim his inheritance and a proposal of marriage that had previously been deemed impossible due to their unequal social standing.
Thus, though the novel can be understood in many ways (as a reflection on social hierarchy and financial and judicial power, as a type of proto-feminism, as a moralistic tale about the good things that come to the honourable and virtuous, about desire versus duty, etc.), it can also be read as a process of deciphering, or one might say of translating, the words and actions of others into understandable forms, and the “inquiétudes” and “embarras” of this interpretative work (Riccoboni 1998, 81). In reading Riccoboni’s Histoire d’Ernestine for the VESPACE workshop, I found myself engaging in this process along with Ernestine, Clémengis, and the other characters, using the framework of social physics to translate their interactions and sentiments into the volition and action rules that will ultimately influence how characters can interact in the game. In this brief essay, I look through the warped and warping lens of translation, as a process and a metaphor, to reflect on the ways digital projects can transform the work of graduate students and scholars in the humanities. As I came to understand, even those of us who might hesitate to lean in to such projects—due to a lack of prior training and coding knowledge, for example—can contribute to digital projects.
On the challenges of translation
As Ernestine’s experience implies, in the eighteenth century—as today—translation was understood to be no easy task. In the article “Traduction, version (Synonymes)” of Diderot and d’Alembert’s Encyclopédie, the author touches on the challenges of these processes of translation and transposition, particularly the problems of textual authority and accuracy:
Rien de plus difficile en effet, & rien de plus rare qu’une excellente traduction, parce que rien n’est ni plus difficile ni plus rare, que de garder un juste milieu entre la licence du commentaire & la servitude de la lettre. Un attachement trop scrupuleux à la lettre, détruit l’esprit, & c’est l’esprit qui donne la vie: trop de liberté détruit les traits caractéristiques de l’original, on en fait une copie infidèle. (Beauzée 1765, 511b)
There is danger both in straying too far from the text and thus distorting it into an “unfaithful” copy, and in staying too close to the text in a position of “servitude” lacking creativity and vivacity, which runs the risk of “destroying” the original’s character and spirit. Tellingly, the fourth edition of the Dictionnaire de l’Académie française (1762) includes in its very brief definition a list of common adjectives used to describe translations that fall along these poles, ranging from “fidelle,” “exacte,” and “libre” to “mauvaise” and “servile.” Its first illustration of the term sums up these judgments quite succinctly: “La traduction est un travail pénible” (Dictionnaire de l’Académie française 1762).
While I would certainly not call the work of the VESPACE project “pénible,” it was challenging to read the texts we chose and then transpose elements from them to write rules governing what the characters in the game would want to do and could actually do, given the particular qualities assigned to them. During the workshop, we collaborated in the authoring of several phases of the social physics framework: after starting with the “schema,” which establishes the overarching conditions and categories of the game-world, we spent the majority of our time working on volition and action rules. Volition rules describe intents—what characters want to feel and how they want to make others feel in certain situations—while action rules describe social exchanges. Volition rules thus function as behind-the-scenes influences that determine which actions become available for characters; players can then choose among the different actions available, depending on the characters’ interacting (and sometimes conflicting) volitions. Reading for these types of rules requires a new type of reading, one that can be both “close” and “distant,” with the goal of modelling volitions and social exchanges, or interactions, in logical formulas. In the particular modality of the Ensemble authoring engine, the tension in translations of specificity and generality became especially important to navigate. From the granularity of particular situations in the literary text, we considered which elements should be preserved or left out and which could apply to the “universality” of human social exchanges and volitions in the context of eighteenth-century sociability.
Translating social exchanges in literary texts to mathematical-like formulas presents numerous challenges, of course, on both practical and conceptual levels. Take, for example, the relationship between Ernestine and Clémengis in Riccoboni’s novella: he is a military man of noble parentage with a promising career and looming financial windfall, but as honest and noble men are wont to do, he immediately falls in love with the young, beautiful, impoverished girl despite the stark difference in their social standing. So, using the metaphor of social physics, one could write the following volition rule to describe the relationship of these two characters, abstracted into the general placeholders of “someone” and “other”: If someone is female, young, modest, beautiful, charming, and not rich, then another person who is male, noble, and wealthy will want to inspire positive feelings—affinity, one might say—in that beautiful, modest young woman, and will want to pique that young woman’s curiosity about himself to attract her attention. While several adjectives describe these two people, the situation is still somewhat generalizable, even a bit cliché, which is actually helpful in the context of a game like this one: an assemblage of rules with varying levels of specificity can apply to a wider range of characters, situations, and interactions.
Writing more specific rules, though, also raises more questions: in Riccoboni’s narrative, the character of a friend of Ernestine, Henriette Duménil, is summed up quite succinctly at the beginning of the text:
Henriette avait environ trente ans; élevée par une de ses parentes, femme riche et répandue dans le monde, elle joignait à un naturel fort aimable, cet agrément que donne l’habitude de vivre au milieu d’un cercle poli. Point de bien, peu de beauté, beaucoup d’esprit, l’éloignaient du mariage. La bonté de son caractère, l’honnêteté de ses mœurs, et sa probité connue, lui attachaient de sincères et de constants amis. (Riccoboni 1998, 6–7)
From these three sentences, one could write several volition rules. Most generally, as the last sentence of the passage implies, nice people want to be friends (or allies) with other people who are honest and kind—a situation one could envisage occurring regardless of time period or sociocultural context. However, the tension between granularity and universality arises when we attempt to capture the meaning of the preceding sentence: “Point de bien, peu de beauté, beaucoup d’esprit, l’éloignaient du mariage.” In terms of our schema, a volition rule describing this declaration might indicate that women who are not wealthy or beautiful, but who are spirited and intelligent, don’t want to increase men’s attention or affinity for them (because they are independent and don’t wish to marry). So, in the form required for social physics, the rule would resemble the following, with “someone” referring to any female with the characteristics and circumstances inspired by Henriette, and “other” referring to any male: “If: someone is female, and someone is not beautiful, and someone is intelligent, and someone is charming, and someone is not rich, and someone is not married [to] other, and other is male, Then: someone has less volition to increase affinity for other, and someone has less volition to increase curiosity/attention for other.”
This example returns us to the challenges inherent in the process of translation—fidelity to the text versus transposition to a more general social milieu, the quantification of human volitions and emotions, and the literal translation of the French text into English nouns and adjectives. The level of specificity of the conditions for the interaction, or the predicates, might be too complex and thus become functionally null in the context of the game: if there are too many preconditions for a volition rule, no characters will (likely) meet all the conditions, and the rule will never come into play. Similarly, if there are too few predicates, and the rule is very general and could apply to many or all of the characters (e.g., nice people want to be friends with other nice people), it might become overused in the game. Just as in the process of linguistic translation, we must ask ourselves, how closely must the rule recreate the specific conditions of this text? How transferable is this situation in the literary text to the general context of eighteenth-century French society? What English word should we use in our rule authoring to render the French “esprit”? And in any case, to what extent can we rely on a fictional, literary text as an accurate representation of eighteenth-century social interactions and norms?
These questions of translation and transposition arose again and again during the VESPACE workshop, but they also tie into the types of training that literary scholars undertake and how we can adapt to a rapidly changing field and world. On a broader level, the VESPACE project poses the question of how the eighteenth century can be brought into the modern context of virtual reality. How can this world, forever lost to us, be translated through computer code and algorithms into something that denizens of the twenty-first century can not only understand, but engage with? How can a literary text be transposed into the classificatory schema of Boolean, numeric, or predefined values and categories? And how, more generally, can literary studies be translated into and through the computational methods of computer science?
While the eighteenth-century stage might seem incredibly distant from the digital world of today, Simon Burrows and Glenn Roe argue in their introduction to Digitizing Enlightenment: Digital Humanities and the Transformation of Eighteenth-Century Studies that “in many ways, of all historical periods, the eighteenth century might be said to offer the perfect laboratory for applying digital technologies” (Burrows and Roe 2020, 11). As a period of disciplinary flux, when the “two cultures” of literature and science, as Charles Snow famously called them in the mid-twentieth century, were not so rigidly separated as they often tend to be today, the eighteenth century offers a vision of multidisciplinarity not strictly beholden to the divisions characterizing most modern institutions (Gaffield 2016).
In seeking to navigate a balance between the seemingly disparate domains of literary studies and computer science, or in the tensions described above between specificity and generality, between fidelity and license, between literature and social history, we might turn again to the Encyclopédie, to Diderot’s article “Harmonie.” While the term “harmonie” is used in various domains—music, government, theology, literary arts—Diderot defines it as “l’ordre général qui règne entre les diverses parties d’un tout” (Diderot 1765, 50a). To judge whether or not a work is harmonious, he explains, one must know it intimately:
[I]l faut connoître le tout, ses parties, le rapport de ses parties entre elles, l’effet du tout, & le but que l’artiste s’est proposé: plus on connoît de ces choses, plus on est convaincu qu’il y a de l’harmonie, plus on y est sensible; moins on en connoît, moins on est en état de sentir & de prononcer sur l’harmonie. (Diderot 1765, 50a)
To illustrate these ideas, Diderot uses the example of a peasant who is given a watch, but who has never seen such a thing before. The watch, he writes, will not mean anything to the peasant because although he perceives “quelque arrangement entre ses parties” and concludes that the object has a particular use, his engagement with the object goes no further because he cannot discern that use. A person who is “plus instruit,” by contrast, will not only understand but “admire” the workings of the instrument because of its complexity: “Plus une machine sera compliquée, moins nous serons en état d’en juger.” As a graduate student in literature at the time of the social physics workshop hosted by Jeffrey M. Leichman and Ben Samuel, I felt much like Diderot’s peasant holding the mysterious watch—nervous that my ignorance would prevent me from understanding this highly technological project and our place within it. Prior to the workshop, I did not have any practical experience with digital humanities, nor with gaming. My understanding of what such work entails, and what skill sets and methodologies are involved, was limited at best, and I feared that not knowing how to code, and the time it would take to learn, would prevent me from participating. A historically inspired virtual reality game is an extremely complicated thing to build, and our rule authoring contributed to one part of the vast mechanism. In this sense, our work could also be likened, perhaps, to that of the many contributors to the labyrinthine Encyclopédie: as we worked together on authoring the rules that would operate “under the hood,” invisible to end users, it was often challenging for us to move from a focus on the minutiae of the rules to envision the totality of the end product and what that might one day look and feel like for players.
Diderot’s article “Harmonie” teaches us that the meaning of an object or instrument depends on the perspective of its viewer, and that the better we know the thing and all its component parts, the better we can understand and appreciate it. While I would not claim to have a solid comprehension of the way all the pieces of the VESPACE project function together, the interweaving processes of interaction, collaboration, and citation practiced in the workshop allowed us to “know” the rules deeply through our familiarity with the texts we were using to formulate them. Although the volition and action rules we authored were necessarily abstract (at least to some degree), due to their mathematical-logical structure, the citations serving as the foundations for these interpretive acts are still preserved and accessible within the game. To each rule we wrote, we attached a citation, which will eventually allow the players to dig into the sources themselves. By centring the rules, we authored on the texts we knew so well, on their many moving parts and their characters’ intricate relationships, we could leverage our knowledge of “le tout” and its “parties” to gain a glimpse of the harmony (and, perhaps, at times, the dissonance) underlying how the combined rules might operate in tandem, interacting and building on each other.
Translating my training in literary studies into a computational domain through rule authoring remained at once a familiar, deeply literary exercise, albeit in a digital medium, and a sometimes unsettling one as I sought, like Diderot’s watch-bearing peasant, to understand the mechanics of the project and envision the eventual effects of our output. Of course, our perspectives and interpretations of the texts we read, and their potential extrapolation to the wider social context, influenced the rules we wrote. As the above examples from the Histoire d’Ernestine suggest, translation is never an entirely neutral activity, and neither is the work of digital humanities. Literary texts, like the historical documents François Dominic Laramée examines in his study, “cannot be treated as Big Data” (Laramée 2019, 2). They resist straightforward “datafication,” requiring significant interpretation, translation, and transposition performed by living, breathing humans (Marche 2012).
The rule authoring we did for the VESPACE project demonstrates the essential role of the participants working together behind the scenes, as well as those playing the game, in an interactive process of interpretation. In an essay published in The Rambling, Eugenia Zuroski argues that literary scholars should think of themselves as “stewards” of texts, which, she explains, is “not simply a matter of guiding how people understand them; it is a matter of being responsible for what they do in the ongoing encounter between people and text” (Zuroski 2020). Being a steward of an eighteenth-century novel in the context of a project like this one, then, involves negotiating how readers and users encounter and interact with the text through interpretation and citation. In “translating” the social exchanges within the narrative into volition and action rules, we both interpreted the texts and transposed them into a new form that will enable users to engage with them through play, while still having access to the original citations and thus having their own opportunity to interpret the text in turn. This process emphasizes the “human” in “digital humanities” and “belie[s] the image of philistine feeding of lumpen, ill-considered data into mindless machines,” as Keith Michael Baker eloquently argues (Baker 2020, vii). Instead, as Simon Burrows and Glenn Roe claim, such projects demonstrate how “the rigours of digital humanities work render transparent what was frequently obscure in traditional scholarship” (Burrows and Roe 2020, 23)—namely, collaboration and cooperation, as well as scrupulous citation and the importance of the interactions between scholar, user, and text.
The VESPACE workshop thus prompted me to reconsider how the skills of graduate students and scholars trained in literary studies can be applied in computational domains, which seems more and more necessary in our time. As Marcotte, Sinatra, and Sinclair remark in their introduction to the special issue “Humanités numériques: identités, pratiques et theories,” published in Digital Studies, the manifold digital technologies available to us have deeply and irrevocably changed not only the ways that research and publication are conducted, but they have transformed “the methods and meaning of writing, [and] the concepts of writer and reader” as well (Marcotte, Sinatra, and Sinclair 2019, 12). The VESPACE workshop—and reading Riccoboni’s text in the mode of social physics—helped me to see how, as humanities students and scholars, we can translate and transpose the skills we’ve developed in our training to engage in digital projects.
Burrows and Roe argue that digital humanities projects like VESPACE “are transforming the way we view the history and culture of the eighteenth century” and that they have the potential to “revise our vision of the Enlightenment” (Burrows and Roe 2020, 1). As I hope to have shown here, we must also consider the ways these projects are transforming our own roles and work as readers, writers, and scholars of the eighteenth century and beyond. Social physics allows characters to transform and act according to the shifting circumstances and webs of relation in which they find themselves. We, too, must embrace new and ever-evolving ways of relating to these texts and technologies as we “steward” them into the future.
Competing interests
The author has no competing interests to declare.
Contributions
Special Guest Issue Editor
Jeffrey M. Leichman, Louisiana State University, USA
Copy and Layout Editor
Christa Avram, The Journal Incubator, University of Lethbridge, Canada
References
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Beauzée, Nicolas. 1765. “Traduction, s.f. Version, s.f. (Synonymes).” In Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, vol. 16. Édition numérique collaborative et critique de l’Encyclopédie (ENCCRE). Accessed December 14, 2022. http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v16-1549-0/.
Burrows, Simon, and Glenn Roe. 2020. “Introduction.” In Digitizing Enlightenment: Digital Humanities and the Transformation of Eighteenth-Century Studies, edited by Simon Burrows and Glenn Roe, 1–24. Liverpool: Liverpool University Press. Accessed December 14, 2022. https://liverpooluniversitypress.manifoldapp.org/projects/digitizing-enlightenment.
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